Le cataclysme du 12 janvier 2010 en Haïti, l’une des pires catastrophes de l’histoire
récente de l’humanité, a occasionné l’avènement en Haïti des représentants de pays n’ayant
aucun rapport diplomatique avec l’Etat haïtien. Il est de certains pays qui devenaient
subitement aidants dont même les Haïtiens les mieux avisés ignoraient jusque-là leur nom. On
dirait que la Croix Rouge de presque toutes les contrées du monde était représentée en Haïti.
Bon nombre de représentants d’institutions de bienfaisance, d’Organisations non
gouvernementales (ONG) d’horizons divers ont foulé le sol haïtien pour apporter leur soutien
aux haïtiens survivants. C’est le cas de dire que toute la Communauté internationale, dans ses
multiples facettes, était au « chevet » d’Haïti en vue d’exercer leur droit, voire remplir leur
devoir humanitaire.
Dans une perspective purement opportuniste ou adoptant une attitude psychologique
positive, d’aucuns pourraient faire valoir que ce séisme de magnitude 7.3 sur l’échelle de
Richter ayant causé des dégâts inestimables en Haïti pourrait bien constituer pour le pays une
fenêtre d’opportunité, tant il existait bel et bien, juste au lendemain du séisme, un certain élan
de la Communauté internationale à aider à Haïti à sortir du bourbier dans lequel elle se trouve
et tant tout était finalement mis à plat et que se présentait l’occasion de tout reconstruire, voire
tout refonder sur de nouvelles bases.
Sans nécessairement prendre d’emblée le contre-pied d’une telle approche, nous estimons
tout de même que la priorité accordée à la question humanitaire et le renforcement corrélatif
du secteur des ONG suite au séisme du 12 janvier en Haïti viennent sinon hypothéquer, du
moins affaiblir le processus de réforme de la Fonction publique en ce sens que toutes les
ressources et énergies sont désormais concentrées sur l’aide urgente à apporter en vue de la
survie des miraculés du séisme, particulièrement les plus démunis dont les tentes de ceux-là
ayant eu le privilège d’en trouver jonchent les avenues de toutes les places publiques de la
capitale, quand ce n’est pas sur un fonds de terre appartenant à un particulier et qui a été ou
bien mis volontairement à leur disposition ou bien tout simplement envahi par effraction au
cas où il y aurait eu de clôture ou de tous autres dispositifs de fermeture.
. En réalité, vu l’état du pays au lendemain du séisme du 12 janvier et même aujourd’hui
encore ; considérant la faiblesse corrélative et le manque de moyens des institutions publiques
haïtiennes, il ne paraît pas évident qu’il pourrait en être autrement. L’instinct de survie
commande l’être humain à se préoccuper d’abord de sa sécurité physique et de sa faim.
D’ailleurs, dans la théorie de la pyramide des besoins élaborée par le psychologue Abraham
MASLOW, les besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer) se retrouvent au bas
de la pyramide. Donc, selon MASLOW, ils sont les premiers besoins à satisfaire. Comment
alors demander, dans un pays où la survie de la majorité de la population est en jeu, de barrer
la route aux ONG, voire de décourager toute action humanitaire ?
Dans de pareilles conditions, l’on pourrait même se demander si Haïti n’est pas encore en
plein dans la catastrophe humanitaire tant les besoins urgents, donc de survie, sont d’une
ampleur certaine.
En revanche, la présence même d’une multitude d’ONG en Haïti traduit, en quelque sorte,
des défaillances des pouvoirs publics. Certains classent même Haïti parmi les Etats faillis
(failed state). Qui plus est, l’Etat ne contrôle même pas efficacement l’action des ONG
comme cela devrait être le cas selon la législation haïtienne. Les ONG fonctionnent donc
comme des structures parallèles aux côtés des pouvoirs publics. Elles prétendent venir en
appui aux autorités publiques haïtiennes, mais la quasi-absence de la coordination de leurs
actions créée, entre autres, des situations de double emploi, de conflits d’influence avec des
autorités publiques nationales ou locales et d’illisibilité de l’action publique dans un même
champ déterminé.
Par ailleurs, en raison de toutes ces défaillances des autorités publiques haïtiennes,
l’action ou le travail humanitaire en Haïti trouve un terrain fertile en vue de sa transformation
en « marché » humanitaire, le terme marché entendu dans son acception capitaliste. Ainsi, les
ONG ont-elles besoin de se pérenniser au lieu d’effectuer sur une période relativement courte
des actions ponctuelles en termes de renforcement des capacités des autorités sur place par
une approche de transmission intelligente et adaptée d’expériences, de connaissances ou de
moyens. Elles sont donc dans une logique de quête perpétuelle de justification de leur
présence ; elles s’inscrivent dans une logique de concurrence entre elles et parfois avec les
autorités publiques sur place.
Il se trouve qu’entre temps, les ONG deviennent plus qu’autrefois les principaux canaux
de l’aide internationale. Elles détiennent les cordons de la bourse, sous prétexte de soupçons
de cas corruption au niveau du secteur public, or le contrôle desdites ONG laisse à désirer.
Par voie de conséquence, le déploiement exponentiel d’ONG en Haïti, accéléré suite au
séisme du 12 janvier 2010 au nom de la crise humanitaire sans précédent en Haïti et dans
l’histoire récente de l’humanité, répond certes à un certain besoin, mais entraine néanmoins
un affaiblissement corrélatif de l’Etat et des pouvoirs publics locaux. Ainsi, comment
pourrait-on s’attendre à ce que le processus de la réforme de la Fonction publique n’en subit
pas un contrecoup ? Réformer la Fonction publique haïtienne en vue de sa modernisation,
c’est remplir une condition essentielle et sine qua non de la performance de l’Administration
publique.
Or, cette démarche de renforcement de l’Administration publique en vue de sa
performance au bénéfice de la satisfaction des usagers traduirait une certaine performance de
l’Etat. Dans ces conditions, cette finalité, se colle-t-elle avec la logique du « marché »
humanitaire ? Les acteurs internationaux dits partenaires d’Haïti, peuvent-ils effectivement
renforcer, de manière concomitante, les ONG et l’Etat ? Dans ces conditions, le renforcement
des ONG, n’est-il pas inversement proportionnel à celui de l’Etat ?
En addition à la problématique de la question humanitaire posée plus haut, nous pouvons
aussi signaler que le séisme du 12 janvier a aussi entrainé un affaiblissement du rendement de
la Fonction publique.
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