On ne le dira jamais assez : l’état de l’infrastructure reste un défi majeur pour le
transit des produits destinés ou en provenance des Etats du Tchad et de Centrafrique.
Qu’il s’agisse de l’infrastructure routière, ferroviaire ou encore maritime, des efforts
supplémentaires méritent d’être consentis dans ces différents secteurs de transport. Il y
va de l’intérêt compris de ces pays comme du Cameroun.
S’agissant du secteur routier, le délabrement de certaines portions des corridors
Douala-Bangui ou Douala N’djaména et ses conséquences au rythme des saisons, à
savoir difficultés de circulation du fait du soulèvement sur ces parties de trajet en
latérite d’épaisses couches de poussière par les transporteurs en saison sèche et quasiimpraticabilité
de ces voies transformées en surfaces boueuses en saison pluvieuse,
continuent à s’ériger en obstacles physiques au transport rapide des marchandises en
transit.(112) Comme le note Géraud Magrin pour les routes reliant le sud du Tchad à la
frontière camerounaise,
Les conditions de la circulation routière sont fortement marquées par la
saisonnalité. […] L’état des pistes en saison sèche dépend assez largement de
leur fréquentation durant l’hivernage, mais surtout de la régularité de leur
entretien au lendemain de la saison des pluies. Les mêmes pistes, d’une année
à l’autre, peuvent ainsi offrir des conditions de déplacement radicalement
différentes.(113)
Ces contraintes font l’objet depuis la décennie en cours d’une grande
mobilisation de la communauté sous-régionale qui a décidé de prendre à-bras-le corps le
problème des infrastructures routières. C’est dans cette optique que le Conseil des
Ministres de la CEMAC, par Règlement N°9/00/CEMAC-067-CM-04 en date du 21
juillet 2000, a adopté le réseau routier intégrateur et prioritaire de la CEMAC.(114)
L’objectif visé est de « relier les capitales [des Etats membres de la CEMAC] entre elles
par des routes bitumées sachant que celles-ci entraîneront l’augmentation du trafic »,(115)
mais également de donner « la possibilité pour les pays enclavés et les régions éloignées
des pays côtiers d’accéder facilement au port maritime ».(116)
A la suite du Règlement susmentionné, a été adopté le Programme régional de
facilitation des transports et de transit en zone CEMAC. Ce Programme est établi
comme suit :
DES TRANSPORTS ET DU TRANSIT EN ZONE CEMA
Source: Règlement Nº114/06-UEAC-160-CM-14 portant adoption du Programme Régional de Facilitation des transports et de transit en zone CEMAC
La coordination et le suivi de la mise en oeuvre de ce Programme sont assurés par
un Comité(117) dont la Présidence est dirigée par le Secrétariat Exécutif de la CEMAC et
dont les membres sont les représentants des Etats constituant la Communauté (quatre
représentants par Etat, désignés par les Départements chargés des Travaux Publics, du
Financement de l’entretien routier, des Transports routiers et des Douanes); les
représentants des Syndicats des transporteurs en transit des Etats membres (un
représentant par Syndicat) et les représentants de la CEMAC (à savoir deux de la
Direction des Transports et des Télécommunications et un de la Direction du Marché
Commun).
Dans les attributions qui lui sont dévolues, le Comité est, entre autres, chargé:
➢ de la mise en place d’un projet pilote sur les corridors Douala/N’djaména et
Douala/Bangui;
➢ des interventions sur le maillon portuaire et des mesures d’accompagnement;
➢ de l’appréciation du degré de cohérence entre les programmes nationaux et les
projets régionaux;
➢ de l’examen du programme prioritaire d’investissement et du plan de répartition
des financements;
➢ du suivi du financement de l’entretien du réseau routier intégrateur;
➢ de la synergie d’intervention des Bailleurs de Fonds et d’une meilleure
coordination de la mobilisation des fonds pour les investissements;
➢ de l’identification des difficultés de mise en oeuvre des projets et de la
proposition des solutions pour accélérer leur exécution;
➢ de l’évaluation des progrès réalisés dans la mise en oeuvre du Programme.(118)
Au regard de sa composition et des attributions qui lui incombent, ce Comité
apparaît non pas comme un organisme de financement, mais comme une structure de
mobilisation des fonds pour le développement des infrastructures, « un cadre de
concertation entre les différents acteurs de la mise en oeuvre de la stratégie
communautaire que sont les Etats membres, le secrétaire exécutif, les institutions
spécialisées autonomes de la Communauté, les transporteurs et les Bailleurs de
Fonds ».(119)
L’implication des bailleurs est une donnée essentielle pour le financement des
infrastructures de transport et particulièrement des voies de communication entre Etats
de transit et Etats sans littoral. La coopération entre ces derniers – ainsi que
recommandée par les Conventions du 8 juillet 1965 et du 10 décembre 1982 – est certes
indispensable pour la construction ou l’amélioration de leurs infrastructures de transit,
mais elle s’avère bien souvent limitée, notamment dans le cas des pays en
développement. Kishor Uprety partage ces observations dans l’appel qu’il lance à la
communauté internationale pour son aide en faveur de cette dernière catégorie d’Etats
dont la qualité des voies de communication constitue un handicap sérieux pour le
développement économique.(120)
Dans le cadre du Programme Régional de Facilitation des Transports et de Transit
susmentionné, plusieurs organismes de financement ont été identifiés pour entreprendre
des investissements de différentes natures sur les corridors Douala-N’djaména et
Douala-Bangui. Ces investissements dont le tableau ci-après en donne lecture comporte
des opérations aussi diverses que l’amélioration de la sécurité routière, le bitumage,
l’entretien, la réhabilitation, etc.
INVESTISSEMENTS ROUTIERS
Source : Règlement N°114/06 – UEAC – 160 – CM – 14 du 11 Mars 2006 portant adoption du Programme Régional de
Facilitation des Transports et de Transit en zone CEMAC
Ces opérations aujourd’hui en cours de réalisation ont déjà permis :
➢ l’aménagement ou plus précisément le renforcement (achevé en 2005) de la
chaussée sur l’axe Yaoundé-Ayos (soit E 11 millions) avec le concours de l’Union
Européenne pour une longueur de 136km;
➢ le bitumage en 2001 de l’axe Bertoua-Garoua Baoulaï, long de 250km avec le
concours financier de l’Union Européenne et du Fonds Routier du Cameroun
(coût total de l’opération E 68,5 millions);
➢ l’aménagement de la route Ngaoundéré-Touboro-Moundou, longue de 383km,
pour un coût estimé à 121 millions d’euros.(121)
La recherche d’un organisme de financement pour la réhabilitation de l’axe
Baoro-Bangui, long de 389 km, se poursuit par ailleurs.
La mise à niveau de ces réseaux routiers marque une étape importante dans le
processus de désenclavement des Etats sans littoral de la sous-région. L’insuffisante
prise en compte, ou plutôt l’oubli, de certains axes dans les itinéraires de réhabilitation
prioritaires définis est cependant perçu(e) par une partie de la doctrine comme une
volonté délibérée d’omission de la part des autorités camerounaises, autorités de transit.
Ainsi, Ieuan Griffiths considère le non bitumage de la route Maltham-Fotokol comme
une question de stratégie et non de moyens. Cet auteur explique qu’en laissant cette voie
dans son état naturel actuel, le Cameroun voudrait se positionner comme la principale
route d’accès du Tchad à la mer, car comment comprendre, se demande-t-il, que les 780
km qui séparent le Tchad du terminal ferroviaire de Ngaoundéré (Cameroun) soient
bitumés alors que les 157 km qui peuvent facilement permettre à cet Etat de rallier les
ports nigérians,(122) en passant par la pointe Nord du Cameroun, ne le sont pas ?(123)
Cette opinion isolée n’emporte pas une adhésion convaincante, car les
infrastructures routières camerounaises en général et les zones rurales plus
particulièrement connaissent un sort identique.
Cela dit, au-delà de l’action salutaire d’aménagement entreprise, une
interrogation subsiste quant à la qualité des travaux qui sont menés. L’expérience a
montré par le passé une rapide dégradation de ces routes du fait de la résistance limitée
des couches de bitume posées au trafic des véhicules.
L’amélioration du potentiel routier suppose aussi sa modernisation. Afin d’éviter
d’innombrables accidents et autres risques provoqués par le passage des engins lourds,
notamment les porteurs de grume, des autoroutes parsemées des poteaux d’éclairage
pourraient se substituer aux chaussées à deux voies en cours d’aménagement.
L’entretien dudit potentiel restera cependant dans tout ce processus l’un des plus
grands défis qu’il faudra relever, car ce volet a toujours constitué un maillon faible dans
la protection du patrimoine routier. Il est à espérer que le Programme d’Entretien
Routier dit PERFED II(124) (doté d’un budget de E 76 millions, environ 50 milliards de
FCFA), cofinancé par l’Union Européenne à hauteur de 70% et le Fonds routier
camerounais à hauteur de 30% portera fruits. Davantage, les fonds collectés aussi bien
au niveau des péages routiers que des pesages (à la suite de contrôles de véhicules dont
la charge dépasse le poids normal autorisé) devraient contribuer à l’amélioration du
réseau routier.
Au niveau portuaire, l’opération de modernisation entreprise à travers la réforme
du Port Autonome de Douala n’a pas encore atteint une vitesse de croisière en dépit de
quelques avancées structurelles. Un meilleur accroissement des prestations de service
dans ce port exige également, à côté du volet structurel, un équipement moderne pour
les différentes activités (manutention, remorquage, etc.) qui y sont pratiquées.
Le port de Douala devrait dans cette optique prendre la mesure de ses voisins d’Afrique
occidentale en cours de modernisation, à l’instar du port d’Abidjan qui s’est investi
récemment dans l’acquisition du premier scanner à double tunnel dont la dotation en
rayons X de haute énergie permet en une fraction de temps un traitement record de
marchandises et de camions, soit 30 camions par heure.(125)
Pour ce qui est du secteur ferroviaire, la principale suggestion – au-delà du
renouvellement et de l’entretien des voies ferrées, mais aussi de l’acquisition d’un
matériel roulant à grande vitesse – concerne l’extension du réseau vers les Etats
enclavés utilisant ce passage pour l’écoulement de leurs produits sur les marchés
internationaux.
Une telle solution par ailleurs avantageuse pour les zones enclavées du
Nord et de l’Est Cameroun permettrait de densifier le trafic sur ces lignes, minimisant
au passage pertes de temps, ruptures de charge et surtout la concurrence que livre en
permanence la voie routière au chemin de fer. En rappel, les perturbations de la guerre
civile du Nigeria sur le commerce de transit du Tchad avaient à l’époque laissé entrevoir
une extension de ce chemin vers N’djamena (ancien Fort-Lamy),(126) une option qui
depuis lors est demeurée au stade de projet.
En tout état de cause, le problème infrastructurel se pose en véritable défi au
transit à côté d’autres contraintes qui ne constituent pas moins des obstacles à lever.
112 Il faut espérer que l’axe reliant Bouar (Ouest de Centrafrique) à la ville frontalière camerounaise Garoua-Boulaï,
(long de 158km) qui comporte ces caractéristiques connaîtra dans les prochains jours une amélioration avec le
financement annoncé le 14 septembre 2007 de la Banque Mondiale, soit 12 milliards de FCFA (18 millions d’euros).
Un montant qui vient s’ajouter à celui de l’Union Européenne et de la Banque Africaine de Développement. Voir la
dépêche de l’Agence France Presse « L’actualité de la Centrafrique »
http://www.izf.net/affiche_oscar.php?num_page=3181
113 Géraud Magrin, Le Sud du Tchad en mutation. Des champs de coton aux sirènes de l’or noir, Paris, Sépia-
CIRAD, 2001, pp. 258 et 259.
114 Voir la configuration de ce réseau en annexe 1.
115 Cf. Annexe au Règlement N°9/00/CEMAC-067-CM-04 du 21 juillet 2000 portant adoption du réseau routier
intégrateur et prioritaire de la CEMAC.
116 Ibid.
117 Article 1er de la Décision N°12/06-UEAC-160-CM-14 du 11 mars 2006 portant création d’un Comité de
Coordination et de Suivi de la mise en oeuvre du Programme Régional de Facilitation des Transports et du Transit en
zone CEMAC.
118 Sur ces attributions, voir l’Article 3 de la Décision N°12/06-UEAC-160-CM-14 du 11 mars 2006 susmentionnée.
119 Article 2 de la Décision N°12/06-UEAC-160-CM-14 du 11 mars 2006 susmentionnée. Les Bailleurs de Fonds
devraient logiquement à la lecture de cet article, nous semble-t-il, faire partie intégrante du Comité.
120 K. UPRETY, op. cit., pp. 97-98.
121 Sur l’exécution de ces travaux et une vue de quelques clichés, voir le document « Coopération Cameroun-Union
Européenne / Secteur Infrastructures » dans le site de la Délégation de la Commission Européenne au Cameroun,
http://www.delcmr.ec.europa.eu/fr/eu_and_cmr/infras_trans.htm-24k
122 Port Harcourt (Nigeria) est, précisent certaines sources, le port maritime le plus proche de N’djaména. Voir
Document de l’UNCTAD/LCDC/2007/1 du 12 Avril 2007 sur l’aperçu des infrastructures de transport pour le
commerce de transit des pays sans littoral d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, p. 7, § 18 in fine.
123 I. GRIFFITHS, op. cit., p. 23.
124 Pour plus de précisions sur ce Programme, voir le document « Coopération Cameroun-Union Européenne (secteur
infrastructures) » dans le site de la Délégation de la Commission Européenne au Cameroun,
http://www.delcmr.ec.europa.eu/fr/eu_and_cmr/infras_trans.htm-24k
125 Sur cette information concernant le port d’Abidjan, voir le document de l’UNCTAD du 12 Avril 2007 sur l’aperçu
des infrastructures de transport pour le commerce de transit des pays sans littoral d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique
centrale, op. cit., p. 11 in fine.
126 Voir Martin Ira GLASSNER, Access to the sea for developping land-locked states, The Hague, Martinus Nijhoff,
1970, p. 186.
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