Puisque en droit français les dommages et intérêts étaient jusqu’ici supposés réparer « tout le
préjudice et rien que le préjudice », l’on attendait naturellement du demandeur à l’action en
contrefaçon qu’il établisse l’étendue de celui-ci. Il est fréquent que les magistrats se plaignent
du peu d’éléments versés au débat pour quantifier le préjudice. Ainsi, pour Mesdames Brun et
Oppelt-Reveneau, magistrates, « l’une des raisons, moins citée, expliquant la parcimonie
reprochée aux juridictions dans l’allocation des dommages et intérêts, est l’indigence des
preuves versées aux débats par les plaignants, et notamment l’absence de production de
documents comptables de nature à prouver la perte du bénéfice allégué »(32). Pourtant, de
façon surprenante, certaines décisions, tout en constatant une telle lacune, accordaient
néanmoins des dommages et intérêts substantiels aux demandeurs en contrefaçon.
Ainsi, par exemple, dans une espèce portant sur une contrefaçon de brevets d’invention, le Tribunal de
Grande Instance de Paris relevait dans un jugement du 4 juillet 2003 que la société
demanderesse « ne produit (…) aucun document de quelque nature que ce soit pour justifier
de son préjudice ; qu’elle n’a fait procéder à aucune saisie-contrefaçon dans les locaux (…)
ce qui lui aurait permis de faire appréhender certains documents comptables ». Pourtant, le
Tribunal accorde la somme de 7 000 euros de dommages et intérêts à la société titulaire du
droit de brevet et celle de 10 000 euros au licencié exclusif(33). Dans une autre espèce
concernant une contrefaçon de marque, le Tribunal de Grande Instance de Paris notait encore
« qu’il était loisible à la société demanderesse de poursuivre ses investigations pour avoir
une connaissance plus précise de l’importance de la commercialisation des modèles
considérés, ce qu’elle ne fit pas » mais lui accorde in fine une « somme globale de 15 000
euros »(34).
32 B. Brun et M.-E. Oppelt-Reveneau, « Améliorer le contentieux de la contrefaçon : du souhaitable au
possible », Propriété Industrielle, juin 2004, p. 14.
33 TGI Paris, 4 juill. 2003, « André Bellamy et autre c./ Luxtend France SARL », PIBD 2003, 774-III-534.
34 TGI Paris, 9 mai 2003, « Jenken S.A c./ D2J S.A et Jacques Jaunet S.A », PIBD 2003, 771-III-450.
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