A l’occasion d’actes de contrefaçon, les titulaires des droits demandent souvent en justice à la
fois réparation au titre des droits patrimoniaux et au titre des droits moraux en distinguant
nettement les préjudices subis. C’est toutefois loin d’être toujours le cas. En effet, sur les
cinquante-cinq décisions relevées, concernant toutes des contrefaçons d’oeuvres protégées par
le droit d’auteur, vingt d’entre elles voient la victime de ces actes demander l’allocation de
dommages et intérêts distincts.
Sur ces vingt décisions (54), nous constatons que les juges accordent des réparations pécuniaires
plus élevés au titre du préjudice patrimonial qu’au titre du droit moral dans douze cas, alors
que l’inverse ne se produit qu’à six reprises et qu’une égalité des montants est à relever dans
trois espèces. Il convient naturellement d’être prudent quant aux enseignements à tirer de cette
statistique car d’une part le nombre d’affaires étudiées n’est pas très élevé et d’autre part les
atteintes à chacun des droits ne sont pas nécessairement d’une gravité équivalente.
D’après cet échantillon de décisions, l’on peut dire qu’il est deux fois plus fréquent que les
juges réparent mieux le préjudice patrimonial. L’écart entre les montants accordés est parfois
très important, dans une espèce par exemple les juges accordent cinq fois plus pour la
réparation du droit patrimonial que pour celle du droit moral55 (100 000 francs contre 20 000
francs). Mais la différence peut aussi être moins marquée, par exemple le préjudice
commercial subi par un auteur dont la chanson a été reproduite dans un karaoké a été estimé à
80 000 f alors que son préjudice moral l’était à 60 000 f(56).
Ainsi, si le préjudice patrimonial est le plus souvent mieux réparé, les réparations allouées au
titre du droit moral sont loin d’être systématiquement inférieures au sein d’une même affaire.
Dans un arrêt concernant la contrefaçon d’une photographie de Maria Callas par exemple(57), la
Cour d’appel de Versailles avait accordé plus de deux fois plus de dommages intérêts au titre
du droit moral qu’au titre du droit patrimonial, soit 50 000 f contre 20 000 f. Dans une autre
affaire concernant une fresque d’un musée dont l’auteur n’avait pas autorisé la reproduction
dans un spot publicitaire, la Cour d’appel de Paris alloue 750 000 francs au titre du préjudice
patrimonial mais 950 000 francs au titre du préjudice moral(58). Enfin, pour prendre l’exemple
le plus spectaculaire des décisions retenues, dans une affaire, la Cour d’appel de Paris(59) a
accordé 750 000 euros de dommages et intérêts au demandeur au titre de l’atteinte portée à
ses droits patrimoniaux du fait de la contrefaçon mais a en même temps alloué 1. 000 000
d’euros au titre de l’atteinte portée au droit moral. Les montants alloués au titre de l’atteinte
au droit moral ne sont donc pas nécessairement plus faibles que ceux accordés pour les
atteintes aux droits patrimoniaux, c’est ce que montre également une comparaison des
dommages et intérêts alloués aux deux titres, indépendamment lorsque l’on ne s’en tient plus
nécessairement à une même affaire.
54 Les décisions relevées datent de septembre 1994 à mars 2007. Nous avons exclu de cette sélection celles où le
demandeur n’exigeait qu’un franc ou un euro symbolique à titre de réparation de son préjudice moral, la
comparaison des valeurs allouées n’ayant dans ces situations plus d’intérêt à notre sens.
55 Seconde cession de droits sur les photos sans autorisation et recadrage de celles-ci. Paris, 5 mai 2000, « Sté
Galerie de France c./ Jacques L’Hoir et autres » : RIDA, avr. 2001, p. 352.
56 Paris, 29 mai 2002 : RIDA, oct. 2002, p. 325.
57 Versailles, 5 nov. 1998, « Sté Arkadia c./ Jean-Pierre Leloir » : RIDA, avr. 1999, p. 367.
58 Paris, 11 juin 1997, « Consorts Lemaitre c./ Société Guerlain et autres » : RIDA, oct. 1997, p. 255.
59 Paris, 8 sept. 2004.
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