Chacun des auteurs, en choisissant de se positionner en tant que témoin porteur de fait historique, a été amené à se placer à moindre mesure en tant que témoin instrumentaire(183). Cette expression tend en effet à désigner celui qui, conscient des faits qu‟il rapporte selon des procédés stylistiques divers, témoigne au nom de la postérité mais aussi au nom de ceux qui ne seront plus à même de témoigner. Les auteurs se sont ainsi investis d‟un devoir de transmission, ce qui, à travers le travail d‟écriture, est amené à toucher le lecteur. C‟est à partir de ce moment que les auteurs sont en proie à la subjectivité : « il est impossible au témoin de relater ce qu‟il a fait et vu en restant strictement objectif.
Il est homme et il est artiste, plus au moins ; la fidélité mécanique du cinématographe lui est donc interdite(184) ». Cette notion définie par Jean Norton Cru tend à redéfinir le travail de l‟historien lorsqu‟elle s‟applique à l‟étude de ces témoignages. L‟analyse de la subjectivité permet en réalité de renseigner l‟analyste sur ce que pensaient les témoins, sur ce qu‟ils ressentaient et sur ce qu‟ils voulaient faire passer au moment où ils le transcrivaient. Elle permet aussi de discerner les différentes motivations des auteurs face à la tâche de l‟écriture. En réalité, l‟analyse littéraire de ces trois manuscrits, permet de mieux cerner « l‟univers » dans lequel étaient plongés les Sonderkommandos d‟Auschwitz-Birkenau.
183 Actuellement, comme l‟affirme Renaud Dulong, l‟expression de « témoin instrumentaire » n‟est utilisée qu‟en droit civil pour désigner une personne qui peut garantir l‟authenticité d‟un testament olographe rédigé en l‟absence d‟un notaire.
184 Jean Norton Cru, Du témoignage, Paris, Gallimard, 1930, p. 101.