1°/ L’atelier d’ecriture au CMP Lanteri Laura :
– Pourquoi l’ecriture ?
Dans le cadre de mon stage en CMP, il me semblait important de pouvoir m’investir dans la
vie institutionnelle. Effectivement, dans la mesure du possible, le psychologue doit pouvoir
diversifier ses interventions au-dela de la therapie individuelle. Depuis la revolution neuroleptique
dans les annees cinquante, les soins psychiatriques se font en ambulatoire ; du point de vue
psychologique, ce ne sont plus les murs de l’hopital qui contiennent le patient mais bien le groupe
therapeutique (KAES, 1999)(1).
Face a des patients dont les processus de liaison sont entraves, un groupe a mediation me
semblait tout a fait adapte. Effectivement, dans l’appareil psychique, c’est bien la mediation du
preconscient, le passage transformationnel entre l’inconscient et le conscient, qui permet l’activite
psychique et mentale (KAES, in CHOUVIER & al., 2002)(2). La mediation est une autre forme de
mise en langage la ou la representation est trop en souffrance pour se dire car c’est en s’appuyant sur
une creation concrete, dans le reel, que la symbolisation va pouvoir advenir.
L’ecriture est une mediation particulierement interessante car elle fait a la fois intervenir le
corps dans son aspect archaique et le langage. Effectivement, le corps a corps avec le stylo et la
page vient reactiver les pictogrammes, traces mnesiques originaires des premiers echanges
corporels avec la mere (Du PASQUIER, 2009)(3). En meme temps, l’ecriture est bien un processus
secondaire de symbolisation dans le sens ou l’on parle reellement d’ecriture quand l’enfant sort du
figuratif de la lettre pour faire le lien entre le son phonetique et la trace ecrite.
Ecrire c’est passer par differentes etapes allant de la mobilisation de
representations/images/idees a la conception organisee des mots et des phrases en passant par une
phase d’associations d’idees. C’est sur cette base qu’en 1920 le courant surrealiste revolutionne la
litterature en plebiscitant l’ecriture automatique sans controle ni censure sur les associations d’idees
qui s’ecrivent. Jung utilisait d’ailleurs l’ecriture comme technique d’auto-analyse de ses reves
(BERTHAUD, 2010)(4). Il est etonnant de noter l’importance implicite de l’ecriture dans les theories
princeps de la psychanalyse ; par exemple, on retrouve chez Freud, l’analogie entre l’appareil
psychique et un ”bloc notes magique” sur lequel l’environnement pose sa trace ; ou bien chez Lacan,
le presuppose que l’inconscient est structure comme un langage mais plus particulierement comme
un ”archiecrit”, une forme d’ecriture fondamentale presente chez tout un chacun (MASSON, 2005)(6).
Selon Lacan, pour l’ecrivain, l’ecriture fonctionne comme un symptome, qu’il nomme ”sinthome”,
ayant la fonction de reunir les cercles delies par la psychose du Reel, de l’Imaginaire et du
Symbolique dans son modele du noeud borromeen (LACAN, 1975-76/2005)(7). Elle aurait donc un
role de reunification de la personnalite qui a ete desorganisee.
Un des interets de la mediation est de ne pas confronter le patient a un transfert direct
potentiellement debordant. Or, pour que la relation transferentielle necessaire au travail
therapeutique puisse se mettre en place, le mode de mediation doit etre prealablement investi par le
soignant (CHOUVIER, 2010)(8). Je m’appuie donc sur ma propre experience de l’ecriture que j’ai
vecue comme salvatrice pour accompagner le cheminement des patients avec cette mediation.
– Fonctionnement de l’atelier d’ecriture au CMP Lanteri Laura
Les ateliers d’ecriture ont vu le jour aux Etats-Unis vers la fin du XIXe siecle sous une forme
litteraire. En Europe, l’interet pour les ateliers d’ecriture s’est focalise sur le developpement du desir
d’ecrire avec les ”ateliers de bricolage en ecriture” d’Anne Roche ou les ateliers d’ecriture en instituts
medico-psychologiques dfElisabeth Bing. L’atelier d’ecriture peut se retrouver dans une approche
orthophonique, reeducative, litteraire (OULIPO . Ouverture de Litterature Potentielle . par
exemple), de developpement personnel (versant humaniste avec le CICLOP . Centre Interculturel
de Communication, Langues et Orientation Pedagogique) ou therapeutique.
Pour la construction de mon atelier au CMP Lanteri Laura, je me suis appuyee sur
differentes approches et plus particulierement sur l’approche humaniste du CICLOP (FRENKIEL,
2005) et les approches psychanalytiques d’Elizabeth Bing (BING, 1993)(9) et de Nayla Chidiac
(CHIDIAC, 2010)(10).
J’ai developpe mon projet d’atelier d’ecriture sous la supervision de Catherine Delrieu,
psychologue au CMP Lanteri Laura et en collaboration avec Marine Azzopardi, infirmiere au CMP
qui a co-anime avec moi les seances jusqu’au 30 mai (4 seances avant la fin).
Suite a la presentation du projet a l’equipe pluridisciplinaire du CMP, les medecinspsychiatres,
en s’appuyant sur les observations cliniques de chacun, ont ete charges d’elaborer une
prescription medicale en vue de la constitution du groupe. Nous avons ainsi pu reunir un groupe
mixte (âges, sexes, pathologies confondues) mais restreint à 6 patients permettant ainsi une
dynamique à la fois riche et sécurisante. Nous avons reçu ces patients pour un entretien de rencontre
où nous présentions l’atelier et les animatrices et durant lequel nous les avons invités à nous en dire
un peu plus sur eux-mêmes et sur leurs relations avec l’écriture. Une fois leur accord obtenu pour
leur participation, ils ont signé une décharge m’autorisant à utiliser leurs productions dans ce travail
de réflexion (cf Annexe 1). C’est par ce biais que leur dénomination dans ce mémoire a été choisie.
Le processus d’atelier a duré 3 mois à raison d’une séance d’1h30 par semaine sur un jour
fixe. La rythmicité des séances, à l’image du bercement calmant maternel et des rythmes de
nourrissage du bébé, vient restaurer les enveloppes psychiques qui ont pu être ébranlées par la
maladie (ANZIEU et al., 2003)(11).
La première séance d’atelier débute par le rappel des règles de fonctionnement qui délimitent
le cadre de l’atelier, les inscrivant ainsi dans un processus stable. Nous insistons ainsi sur la
confidentialité, l’engagement à une régularité, et le respect des difficultés et des écrits de chacun.
Nous décrivons aussi quelques-uns des principes de base de l’atelier que j’exposerai ci-après.
Nous nous appuyons sur une écriture non pas scolaire, mais spontanée, de ce qui vient à
l’esprit pour éviter le souci obsessionnel de la faute d’orthographe, de l’esthétique ou de la
bienséance. Pour cela, en début de chaque séance est proposé au groupe un inducteur commun, à la
base du processus de création. L’inducteur peut prendre différentes formes et nous avons choisis
d’alterner entre musique, textes d’auteurs, jeux d’écriture à plusieurs, images et objets. Ce n’est qu’en
seconde partie de séance que le patient est invité à produire un texte libre et individuel mais qui peut
s’appuyer sur ce qui a été écrit et vécu au préalable. En effet, le texte libre peut être déstructurant
pour un patient face à son angoisse du vide de la page blanche (KAVIAN, 2006)(12). C’est à
l’animateur de toujours savoir s’adapter à la problématique actuelle du groupe afin de proposer des
inducteurs à la fois surprenants et sécurisants susceptibles de susciter la créativité en toute
confiance.
Après le temps d’écriture, nous proposons aux participants de lire une partie ou la totalité de
leur texte s’ils le souhaitent. C’est un moment important de partage durant lequel les patients
peuvent surmonter leur peur d’être jugés (GANZL, 2004)(13). Ils peuvent aussi choisir de faire lire leur
texte par un autre membre du groupe ou une animatrice ce qui peut induire un regard à la fois neuf
et intime sur l’écrivant. Cependant, ce procédé n’a jamais été sollicité par le groupe.
La discussion qui s’ensuit n’est pas induite par un thème particulier ; c’est au groupe de
déterminer, suite à l’expérience d’écriture, de lecture et d’écoute des textes d’autrui ce qu’il souhaite
aborder. Ce passage de l’écriture à la discussion permet de revenir, suite à l’utilisation d’un mode
d’expression inhabituel, à une verbalisation dans une communication sociale commune.
Dès la troisième séance ont pu se mettre en place des rituels de début et de fin de séance qui
encadrent ainsi l’écriture de manière spatio-temporellement repérée. En début de séance, sont
consacrées 10 minutes à l’accueil des patients et à l’inscription, sur la base de mots croisés, du
prénom de chacun, entrelaçant symboliquement les membres du groupe entre eux. A la fin de la
séance, nous notons sur des listes communes les personnages, lieux, objets et incipits des textes
écrits. Ces listes restent ensuite à disposition comme étayage culturel. En effet, ces listes, sur le
modèle du ”Dictionnaire des symboles” de Cadoux (CADOUX, 2003)(14), représentent un objet
culturel commun au groupe, témoin de son histoire. Les textes originaux sont conservés par les
animatrices ce qui implique un travail de séparation, modéré par la proposition d’une photocopie
créant un lien entre l’espace interne de l’atelier et l’espace externe de l’environnement.
La position des animatrices est spécifique. Je tiens le rôle de thérapeute principale ;
autrement dit, j’accueille les patients dans la salle d’attente, je démarre et termine la séance,
j’annonce les étapes des jeux d’écriture et j’anime les temps de discussion. Marine est plus intégrée
dans le groupe dans un partage d’expérience (peut lire ses textes) mais soutient ma parole et
intervient dans les temps de discussion de sa place, souvent de manière plus formelle. Marine et moi
restons toujours à disposition pour soutenir le travail d’écriture ; nous écrivons aussi pour favoriser
l’identification et l’imitation du comportement (CHIDIAC, 2010) sans lire toutefois nos productions
(en ce qui me concerne), tout en restant dans une attention flottante pour soutenir les patients qui
semblent en difficulté.
– Problématique clinique
L’écriture, telle qu’on la conçoit habituellement, se rattache plutôt à la littérature dans une
maitrise esthétique de la langue en vue de la création d’une oeuvre. Les psychanalystes qui se sont
intéressés à l’écriture ont d’ailleurs focalisé leur pensée sur la création littéraire en tant que telle
(FREUD, 1929/1993(15) ; CHASSEGUET-SMIRGEL, 1971(16) ; CHOUVIER, 1998(17)) afin d’étudier les
processus en jeu chez les auteurs animés par un besoin ou un désir créateur via l’écriture. En
revanche, contrairement à la peinture ou la sculpture, l’écriture est une médiation peu utilisée dans
un cadre thérapeutique. Effectivement, les thérapeutes ont recours à la médiation essentiellement en
cas de pathologies de type psychotique où les mots ne font pas sens alors qu’un retour à un langage
archaïque permet de travailler la reconstruction de l’identité. Au contraire, l’écriture se situe déjà à
un niveau de processus secondaires. Peut-elle donc être thérapeutique en psychiatrie ?
Certains auteurs comme Jorges Semprun(18) qui relate son quotidien dans les camps de la mort
ou Eva Thomas(19) qui créé une oeuvre littéraire à partir de son inceste, ont pu exorciser et élaborer
leur traumatisme par l’écriture (SIGNOL, 1996)(20), en donnant une représentation à ce qui leur était
justement irreprésentable auparavant. Pour ces auteurs, l’impulsion créatrice est venue à un moment
donné en vue d’une réparation de soi ; mais l’écriture peut-elle garder cette vertu en cas d’impulsion
externe comme c’est le cas dans un atelier d’écriture ? Qu’est-ce qui, précisément est thérapeutique ?
Est-ce la simple extériorisation d’un vécu interne ou bien cette expulsion est-elle le point de départ
d’un mouvement de réappropriation, de personnification de l’expérience ? L’écriture, activité intime
s’il en est, ne prend-elle pas toute sa valeur thérapeutique dans ce qu’elle recèle d’universel, de
partagé et de partageable avec un autre ?
A travers la succession des séances de l’atelier d’écriture développé au CMP Lanteri Laura
auprès de patients psychiatriques (pour un aperçu des séances, Annexe 2), nous nous efforcerons
d’étudier de manière précise chacun de ces trois aspects que sont le groupe, le mouvement
d’expulsion-réappropriation que nous nommerons le mouvement de projection-introjection, et
l’aller-retour paradoxal entre l’intime et l’universel que nous aborderons sous l’axe du mouvement
d’objectivation-subjectivation. Nous supposons que l’effet thérapeutique de l’atelier d’écriture
provient justement de ces trois niveaux entremêlés qui peuvent parfois sembler contradictoires
(CADOUX, 2003) mais qui, en s’étayant les uns les autres peuvent ainsi faire advenir le Sujet (dans
le sens d’un individu bien séparé des objets, supports de son désir).
2°/ Les membres de l’atelier d’ écriture du CMP Lanteri Laura :
– Monsieur DT
Monsieur DT est né en Guinée en 1985. Nous avons peu d’éléments sur son histoire avant
son arrivée en France en 2007 pour suivre des études d’informatique. Son père vétérinaire est
bigame ce qui le situe dans une fratrie de 15 enfants. Il est rapporté des antécédents psychiatriques
d’un épisode de pharmaco-psychose suite à l’absorption de cannabis à 17 ans ainsi qu’un épisode
délirant aigu en 2006, un an après le décès d’un de ses frères qui entretenait une mosquée mais avait
le projet de se convertir au judaïsme.
A Grenoble, Monsieur DT vit un épisode de déréalisation au cours d’un jeu vidéo. Ses amis
préviennent alors son neveu de son comportement de plus en plus étrange. Celui-ci finit par se
rendre à la résidence universitaire dans laquelle loge Monsieur DT et le trouve nu dans un
appartement inondé tenant un discours délirant persécutoire, persuadé qu’il va être tué. Il est amené
en urgence au CHU duquel il fugue avant d’être hospitalisé en Hospitalisation sous la Demande d’un
Tiers (HDT). Durant cette hospitalisation, Monsieur DT n’a pas conscience de son trouble ; il
déambule sans cesse dans le service, faisant intrusion dans les chambres des autres patients ce qui
entraine plusieurs séquences d’entraves. Ses idées persécutoires sont déplacées sur les infirmières
envers lesquelles il se montre agressif. Son délire se fait répétitif et polymorphe avec une potomanie
et des idées délirantes cénesthésiques à thématiques corporelles (impression que ses cheveux lui
mangent le cerveau, vision floue). Monsieur DT a aussi une période centrée sur un délire mystique
qui semble en lien avec son frère décédé, dans lequel il se dit investit de la mission de réunir les
trois religions autour du sens de la vie dans une forme cyclique. Cependant, il peut aborder son
scepticisme suite à ses nombreux voyages et alterne entre un déni total (avec troubles mnésiques) et
une critique possible de son trouble.
A sa sortie, Monsieur DT reprend ses études d’informatique et travaille le week-end au
restaurant universitaire. Il vient de moins en moins au CMP jusqu’à l’arrêt complet du traitement
ayant pour conséquence un retour du délire et une nouvelle HDT en 2011. Monsieur DT présente à
nouveau une grande agitation avec déambulations et un délire polymorphe autour d’une obsession
pour une femme qui ne le connait pas et avec laquelle il désire se marier, ainsi qu’une déformation
de la réalité autour d’une morsure à la main (il aurait été mordu par un homme qui se serait
transformé en chien). Il est ensuite suivi via des soins sous contraintes (levés en novembre 2011)
qu’il investit bien. Décidé à ne plus rechuter, Monsieur DT commence à s’inquiéter pour son avenir,
alors qu’il n’a pas réussi à ses examens, en lien avec de fortes exigences familiales.
L’atelier d’écriture lui est conseillé car Monsieur DT souhaite revenir sur son histoire
personnelle qu’il ne parvient cependant pas à aborder en psychothérapie individuelle. Nous recevons
Monsieur DT un peu à l’improviste. Marine le connait déjà et mène spontanément l’entretien. Il
s’inquiète assez rapidement de ce qu’est l’atelier d’écriture de manière adaptée mais légèrement
angoissée. Je lui propose d’abord de parler de lui ce qui lui permet de se présenter dans une
identification à moi, ”je suis étudiant moi aussi”. Il m’explique qu’il a dû arrêter sa formation car il
est tombé malade ce qui l’a conduit à deux hospitalisations. Il continue sa présentation par le fait
qu’il est ”célibataire” car sa copine l’a quitté suite à sa décompensation. Il a néanmoins des amis
avec lesquels il joue à des jeux vidéos. Nous nous intéressons à son rapport avec l’écriture. Il peut
nous dire qu’il n’a jamais écrit mais que depuis quelques temps déjà, il souhaite écrire son
autobiographie sans parvenir à se lancer. Cet atelier l’enthousiasme aussitôt de par la possibilité
d’entrer dans l’acte de s’écrire.
– Monsieur X
Mr X est un jeune homme de 27 ans, d’origine laotienne et diagnostiqué schizophrène. Il vit
avec ses parents et semble t-il avec ses trois frères et leurs épouses. Il parle souvent de sa famille
comme d’un tout unique où il est difficile de sentir l’individualité de chacun. D’ailleurs, Mr X est
actuellement très isolé socialement, n’acceptant que très peu de contacts autonomes avec l’extérieur,
qu’il vit comme une trahison envers ses proches.
Il évoque volontiers son parcours scolaire aux différents professionnels qui l’ont rencontré.
Mr X a d’abord obtenu un BEP électrotechnique, puis a suivi des études pour obtenir un
baccalauréat professionnel audiovisuel qu’il a abandonné pour le CREPS (formation sportive) qu’il
avait beaucoup investit. Il suit actuellement une formation par correspondance dans le
développement de site WEB qui l’angoisse dans son rapport à l’imagination.
Sa vie psychique s’organise principalement autour du sport (qu’il ne peut plus pratiquer
tantôt à cause de sa maladie, tantôt à cause du traitement), de ses troubles et du bouddhisme auquel
son père l’a initié. Un vécu de dépersonnalisation survenu lors d’une méditation l’a poussé à
consulter à l’Unité de Consultations et d’Avis Psychiatrique (UCAP) en 2007. Depuis, Mr X est vu
au CMP pour un suivi psychiatrique et un suivi psychothérapeutique. Il n’a pas d’idées délirantes
franches mais surtout un discours étrange et clivé à propos de son corps. Il décrit une barrière
devant ses yeux, des oreilles bouchées ou des muscles raides et desséchés.
Mr X a toujours bien accepté les soins proposés mais quand ils ont lieu dans les mêmes
locaux. Ainsi, il refuse de participer aux activités du CATTP qui lui permettraient pourtant de
retrouver une vie sociale. C’est dans cet objectif que l’atelier d’écriture au CMP lui est conseillé.
Lors du premier entretien, Mr X a une posture et un discours très rigides accompagnés d’une lenteur
psychomotrice manifeste. Lorsqu’il n’a pas de questions auxquelles se raccrocher, il a tendance à
s’absenter (regarde le plafond), avec des difficultés à se concentrer sur notre présentation de l’atelier
notamment. Contrairement à ce qu’il mettait en avant concernant ses gênes avec les autres, Mr X
nous explique que la mise en groupe ne le dérange pas. Il craint en revanche de devoir lire ses
textes. Il souhaite essayer quelques séances et accepte l’utilisation de ses textes sans signature (il ne
signera d’ailleurs pas l’attestation).
Nous avons hésité, suite à cet entretien, pour l’intégration ou non de Mr X dans l’atelier
d’écriture. Nous ne pensions pas que trois mois seraient suffisants pour entamer un quelconque effet
therapeutique ; cependant, il serait possible de lui fournir un lieu securisant dans lequel il pourrait
s’autoriser a imaginer, avec moins de controle et aussi a vivre l’experience positive d’un groupe.
Cela pouvait alors poser une base sur laquelle Mr X aurait la possibilite de s’etayer pour integrer de
nouvelles activites therapeutiques, creatives ou non.
– Madame MV
Mme MV est une femme de 42 ans qui en parait beaucoup moins, s’exprimant comme une
enfant dans le ton utilise. Elle est d’ailleurs tres dependante des protections et soins mis en place
autour d’elle (soins infirmiers autour de l’hygiene et de l’entretien de l’appartement, mise sous
curatelle, activites, psychotherapie).
Mme MV vient de la Loire ou sa mere, avec laquelle elle avait des relations compliquees, a
longtemps vecu. Elle est scolarisee jusqu’a ses 16 ans suite a quoi elle se marie, vient a Grenoble et
a son premier enfant. Dix ans plus tard, apres plusieurs IVG, Mme MV retombe enceinte d’un autre
homme (qui n’est pas averti de sa grossesse) mais decide de garder l’enfant. Elle retourne alors vivre
avec sa mere quelques temps et divorce. Elle tente de reprendre contact avec son pere par lettre
mais il ne se deplace pas pour la voir. Ses enfants sont tres tot places en famille d’accueil. En 1999,
alors qu’elle loge dans un foyer de jeunes travailleurs ou elle se sent seule et peu epaulee, Mme MV
demande a etre hospitalisee pour depression, ce qui l’inscrira dans des soins au CMP. Cette anneela,
Mme MV voit encore ses enfants tous les mardi et mercredi en presence d’une assistance sociale
de l’Aide Sociale a l’Enfance (ASE) ; sa mere tente d’obtenir elle-meme des visites ce qu’elle
supporte mal. Elle pense que sa mere essaie de prendre sa place. Des 2000, Mme MV ne voit ses
enfants qu’un vendredi tous les quinze jours alors que son premier mari est accuse d’attouchements
sexuels sur ses deux enfants. En 2001, elle rencontre un homme alcoolique et violent avec lequel
elle a un nouvel enfant immediatement place en foyer d’accueil. Cette annee-la, Mme MV sera
hospitalisee deux fois afin de se proteger de la violence de son compagnon puis pour troubles
anxieux. En 2003, elle accouche d’un quatrieme enfant du meme conjoint dont elle a du mal a se
separer. Son discours devient ”psychotique” et stereotype ; elle sera d’ailleurs hospitalisee pour
agitation-confusion. Dans tous les cas, la dependance de Mme MV envers son conjoint est
pregnante malgre son desir de ne plus le voir. Elle continue de le cotoyer frequemment tout en le
niant pendant de nombreuses annees malgre une plainte deposee pour violence.
Des 2006, Mme MV commence a investir des activites sociales comme le Groupe d’Entraide
Mutuelle (GEM), les activites du CATTP ou les Repas Partage qui l’aident a supporter son
isolement familial. Malgre tout, elle accumule dans son appartement des aliments sucres comme
pour remplir le vide laisse par ses enfants. Un sentiment de culpabilite tres fort l’accompagne et
produit des ruminations qui l’empêchent de dormir. En 2007, la mère de Mme MV décède d’un
cancer. Elle nécessite alors d’une attention particulière quant à son incurie. En 2011, elle subit un
infarctus cérébral d’origine indéterminé. Elle reprend contact avec ses enfants ; en particulier avec
son fils aîné qu’elle visite régulièrement maintenant qu’il vit seul.
Nous connaissons Mme MV car elle participe à un groupe d’échanges que nous animons
aussi. Nous pensons à elle pour l’atelier afin de l’aider à se réinscrire dans son histoire de manière
plus subjective alors qu’elle a souvent adopté une attitude immature et infantilisée. Mme MV est
très souriante et parle volontiers d’elle-même. Elle se présente comme dépressive, ce qu’elle associe
au fait qu’elle n’a pas pu s’occuper de ses enfants. Elle culpabilise de ne pas avoir assumé le
quotidien et énumère tout ce à quoi il est nécessaire de penser pour eux. Elle nous parlera
longuement de ses différents enfants avec une émotion retenue mais tout à fait présente. Elle
participe déjà à différentes activités créatrices dont la céramique qu’elle affectionne beaucoup. Elle
n’a jamais vraiment écrit nous dit-elle (excepté les échanges épistolaires qu’elle a pu avoir avec son
père ou ses enfants) car elle a du mal à poser ses idées de manière logique quand ses pensées se
mélangent. Elle insiste aussi sur le fait qu’elle écrit mal tant sur le plan graphique que stylistique.
Elle accepte malgré tout avec enthousiasme d’essayer et de nous laisser utiliser ses textes signés de
ses initiales.
– Madame Y
Nous avons très peu d’informations d’anamnèse à propos de Mme Y. C’est une dame de 44
ans qui ne parle que très peu d’elle-même. La prise de parole spontanée a toujours été, selon son
mari, assez rare. Mme Y consulte pour la première fois au CMP en 2009 pour une décompensation
dépressive brutale à la suite d’une déréalisation. Mme Y a un discours monocorde et clive
avant/après sa décompensation. Avant sa maladie, tout allait très bien et elle n’en parle pas. En
revanche, depuis mars 2009, tout va mal. Elle présente une forte aboulie, des troubles du sommeil,
des pleurs immotivés et un fort sentiment d’indignité.
Elle vit à son domicile avec son mari qui alterne entre une attitude soutenante envers elle et
une attitude de rejet et de désinvestissement. Mme Y a reprit son emploi en 2010 ce qui la revalorise
mais ne semble pas la remobiliser sur le plan affectif. Quand elle rentre, Mme Y se couche, se
déchargeant de toutes responsabilités familiales ne partageant ses repas ni avec son mari ni avec
leurs deux enfants. Le père de Mme Y décède brutalement dans le courant de l’année 2011 mais elle
n’en dira rien. Mme Y a été hospitalisée deux fois en Hospitalisation Libre (HL) en 2010 et 2011.
L’atelier d’écriture a été pensé pour aider Mme Y à se remobiliser sur le plan psychique et
affectif et aussi peut-être pour lui permettre d’élaborer son traumatisme pour le réinscrire dans son
histoire complète. Lorsque nous recevons Mme Y, elle est d’un contact facile ; elle nous regarde, a
un visage animé (bien que peu souriant) et répond à nos questions. Elle sera dans le déni des
craintes qu’elle avait pu énoncer à sa psychologue quant à sa peur de devoir parler d’elle-même.
Dans l’entretien, elle évoque essentiellement l’épisode de dépersonnalisation-déréalisation durant
lequel, tout à coup, elle ne savait plus où elle était. Ce qui ressort de sa dépression actuellement est
son manque de plaisir dans les activités qu’elle aimait (la lecture et les mots-croisés par exemple).
Elle n’a aucune question et accepte que ses écrits soient utilisés sans signature.
– Madame O-R
Mme O-R est une femme de 37 ans, d’origine algérienne. Cadette dans une sororie de trois
filles, Mme O-R est arrivée en France à l’âge de 18 ans. Elle aurait subi des attouchements sexuels
de la part d’un proche de la famille, traumatisme qu’elle associe à sa boulimie ultérieure. Depuis ses
12 ans, elle a mis en acte plusieurs tentatives de suicide par ingestion de médicaments. De 2001 à
2007, elle vit à Paris avec son mari. Rapidement, elle est vue dans un CMP pour des troubles
dépressifs puis hospitalisée à la suite d’une tentative de suicide consécutive à son divorce, temps
durant lequel fut posé un diagnostic de trouble de la personnalité borderline. Depuis, elle vit chez sa
mère à Grenoble. Elle reprend des études au début de l’année 2011 mais renonce à cause de propos
méprisants qu’une autre élève aurait tenu à son encontre. Depuis mai 2011, le CMP reçoit Mme O-R
pour des suivis psychiatrique et psychothérapeutique. Ses difficultés relationnelles et un sentiment
de culpabilité fort l’ont poussés à consulter. Mme O-R panique avant chaque prise d’initiative quelle
qu’elle soit, mais davantage en cas de sortie. Elle a besoin d’établir un ”contrat moral” avant de
pouvoir sortir de chez elle.
L’atelier d’écriture est proposé à Mme O-R afin de l’aider à se confronter à un groupe social
dans un espace sécurisé et avec un médiateur qu’elle connaît déjà. En effet, Mme O-R écrivait des
textes ”romanesques”, lisait beaucoup, pratiquait la sculpture sur terre et l’origami (activité qu’elle
reprend depuis peu). Elle angoisse face à toute perspective de concentration ce qui l’empêche de
prendre à nouveau du plaisir dans ces activités. Quand nous recevons Mme O-R, un incident dans
les locaux poussent plusieurs membres du personnel à entrer sans frapper ce qui semble brièvement
la déstabiliser ; elle montre cependant une capacité d’adaptation non négligeable. Bien que
manifestement stressée, Mme O-R est souriante et de bon contact. Elle nous explique rapidement
que la perspective du groupe ne l’enchante pas du tout mais qu’elle se sent obligée d’y participer car
son psychiatre et sa psychologue le lui ont conseillé. Elle craint d’être abandonnée si elle ne répond
pas à leurs attentes. Mme O-R insiste sur le fait qu’elle ne souhaite pas écrire sur elle-même sous la
forme d’un journal intime mais accepte l’utilisation de ses textes attachés au pseudonyme ”O-R”.
– Madame Zen
Mme Zen est une dame de 58 ans, d’origine indienne, avec un parcours de vie et un parcours
de soins assez complexes. Avec un DEUG d’anglais, Mme Zen débute sa vie professionnelle comme
enseignante mais suite à un mariage arrangé en 1976 (duquel naîtront deux filles), Mme Zen émigre
en Algérie puis en France. Elle vit mal ce déracinement et la chute de son statut social (son mari
médecin travaille comme infirmier). En 1997, elle subit une hystérectomie compliquée suite à un
fibrome qui l’oblige à marcher avec une canne. Traitée par des antidépresseurs et des anxiolytiques
depuis plusieurs années, elle est hospitalisée pour la première fois en 1998 pour une crise d’angoisse
et d’agitation à l’annonce d’un cancer chez son mari. Mme Zen met alors en avant ses nombreux
problèmes somatiques qu’elle détache de ses difficultés psychiques. A sa sortie de l’hôpital, elle est
en demande d’aide et est accompagnée dans un CMP de Grenoble (suivis psychiatrique et
psychologique). Elle y fait preuve d’une grande capacité d’introspection malgré son syndrome
dépressif et ses ruminations. En 2000, elle reprend contact avec sa famille et passe plusieurs mois
en Inde. En 2001, sa désillusion quant à son mariage et son regret de ne pas avoir vécu d’histoire
d’amour la pousse à quitter son époux et à déménager. Elle est alors suivie dans un autre CMP dans
lequel elle travaille essentiellement sa relation avec son mari qu’elle qualifie de ”relation d’emprise”.
En 2002, Mme Zen se brûle avec un fer à repasser sans soigner sa plaie ; les suspicions des
médecins quant à une éventuelle automutilation semblent entraîner un arrêt brutal du traitement.
En 2003, le divorce de Mme Zen est prononcé et sa mère décède un an plus tard. Un épisode
dépressif réactionnel semble être apparu avec des troubles de l’attention, une anhédonie et une autodévalorisation
prégnante. Il s’accompagne d’un AVC. Mme Zen prend contact avec un nouveau
CMP, en 2008, dans lequel elle va participer à un atelier de gymnastique douce qui la satisfait. Elle
s’engage dans une association pour aider les personnes malvoyantes. A la fin de l’année, un épisode
délirant aigu entraîne une hospitalisation. Elle se sent alors persécutée par les soignants, ses filles et
son ex-mari et souffre en plus d’hallucinations auditives. A sa sortie de l’hôpital, elle critique son
état délirant et met en avant de nouveau troubles somatiques (démangeaisons, mal de dos,
constipation, rectorragie) teintés de ruminations anxieuses et hypocondriaques. Elle participe alors à
un atelier de vidéothérapie. En août 2009, Mme Zen retourne vivre chez son ex-mari pour des
raisons financières. Un an après, elle retourne en Inde avec des reviviscences d’attouchements
sexuels incestuels alors qu’elle avait 22 ans. Lors du décès de son père, Mme Zen évoque
essentiellement son sentiment d’injustice vis à vis de sa fratrie dans le partage des biens de
succession. Son état s’améliorant, le suivi au CMP s’estompe.
Au début de l’année 2012, Mme Zen consulte au CMP Lanteri Laura car elle ne supporte
plus de vivre chez son ex-mari qui a été violent (il l’aurait séquestrée alors qu’elle était enceinte).
Elle évoque alors sa relation conflictuelle avec ses filles qui d’un côté ne comprennent pas sa
dépression et sa décision de déménager et qui, d’un autre côté, ne seraient pas heureuses à cause
d’elle.
L’atelier d’écriture est pensé pour Mme Zen afin qu’elle puisse trouver, hors de l’ambiance
conflictuelle familiale, un espace pour elle en contact avec un autre groupe social, dans l’espoir
d’une éventuelle élaboration autour de ses problèmes somatiques. L’entretien préliminaire est
d’abord centré sur son ambivalence vis à vis de ses filles. Elle nous parle ensuite d’un arrêt brutal de
son traitement à cause d’une hépatite médicamenteuse alors qu’elle était dépendante autant
physiquement que psychiquement à ces médicaments. Face à l’écriture, Mme Zen est enthousiaste.
Elle faisait partie d’un groupe d’écriture quand elle était étudiante à l’université ; par la suite, elle
créait souvent des poèmes mais n’y arrive plus. Elle accepte l’utilisation de ses textes attachés au
pseudonyme ”Zen” et intègre le groupe dès la deuxième séance.
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