I.1. Les Origines de la crise
La crise qui touche aujourd’hui le Mali a des racines très anciennes. Plusieurs éléments en sont constitutifs : Le pays est composé de nombreuses ethnies qui s’étendent géographiquement au-delà de ses frontières parmi lesquelles les touareg numériquement minoritaires mais habitant sur les 2/3 du territoire. Le Mali a, dans son histoire, toujours eu à composer avec des fortes rivalités ethniques et des revendications indissociables à celles-ci.
La contestation la plus importante et la plus forte est probablement celle des touaregs qui réclament depuis de nombreuses années leur indépendance.
La révolte des touareg maliens notamment ceux vivant dans l’extrême Nord (Adrar des Iforas) remonte à l’époque coloniale quand la France a établi les frontières actuelles qui séparent le Sud de l’Algérie et le Nord du Mali en application du traité de Berlin de 1885(1).
Ils ne voulaient pas relever de l’Afrique occidentale française qui comprenait le Mali actuel. Ils ont fait des démarches pour être rattachés à l’autorité française du Nord établie à In Salah (Algérie). La France avait refusé. Cet antagonisme persista jusqu’à l’indépendance du Mali en 1960.
En 1963, il y a eu une première révolte des touaregs maliens alors que l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) défend les frontières héritées des puissances coloniales. Il n’était pas question de laisser les touaregs remettre en cause ce principe. La deuxième grande révolte a eu lieu au début des années 1990 et a concerné le Mali et le Niger. Ce qu’on peut qualifier de révolution touarègue a été réactivé par les accords conclus en 2006(2) qui stipulent que les touaregs ne doivent plus réclamer l’autonomie de leur région tandis que Bamako doit accélérer le développement des régions du Nord. Ce traité a été jugé insatisfaisant par les touaregs qui avaient rejeté l’accord en reprochant au gouvernement malien de n’avoir pas respecté les termes dudit accord. Depuis lors une poche de contestation au sein du territoire malien n’a cessé de grandir, s’appuyant sur des revendications de plus en plus fortes et radicales n’excluant pas le recours à une rébellion armée.
L’intervention des forces étrangères en Libye qui a abouti à la chute du régime du colonel Kadhafi a accéléré la naissance du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA).
I.2 la faiblesse politique de l’Etat malien et l’éternelle question nomade
Comme toutes les anciennes colonies, l’Etat malien a hérité de réalités politiques non favorables à une cohérence de son ensemble territorial. A leur indépendance les pays africains ont adopté le principe de « l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation ». Dans la manière dont les frontières ont été dessinées, les Etats africains n’avaient donc pas pris en compte la question de la gestion des populations dans leur diversité et leurs différentes réalités socio-politiques. Lorsque, dans les années 70, les séries de sécheresse frappèrent la région sahélienne dont le Mali, les populations des zones les plus exposées à ce fléau se considérèrent comme marginalisées et non assistées par l’Etat central.
Au Mali, ce sont les touarègs qui se retrouveront dans cette situation. De plus, ces catégories nomades ne s’accommodant pas de frontières « artificielles » se trouvent sur une aire de peuplement s’étendant au-delà des limites formelles de l’Etat. Ce facteur de dissémination sur plusieurs Etats voisins n’a pas été pris en compte dans le processus de la mise en place de l’administration centrale du Mali indépendant. En effet, cet état a depuis le début péché par l’incapacité d’instaurer un modèle socio-économique capable d’une gestion rationnelle des différences et d’une réponse adéquate aux demandes différenciées des multiples composantes de la population malienne. Les conjonctures de l’économie mondiale conjuguées aux différentes politiques d’ajustement imposées par les bailleurs de fonds ont aggravé cette situation.
Déjà, dans les années 60, une vague de contestation avait secoué les régions du Nord peuplées par les touaregs jouant sur la proximité ethnique avec des populations frontalières comme celles du Niger et de la Libye. Ce dernier pays, sous Kadhafi, avait beaucoup encouragé de telles manifestations et revendications récurrentes. Ces mouvements transfrontaliers ont davantage affaibli les Etats concernés et instauré des zones de non droit échappant aux différents ordres étatiques (Mali, Niger, Mauritanie). Mais la situation du Mali sera rendue plus complexe avec une certaine instabilité politique aux effets sporadiques malgré l’espoir d’une démocratie qui cherche encore ses marques. A cela il faut ajouter la mal gouvernance des régimes successifs notamment celui de Amadou Toumani Touré. Celui-ci, dans son plan de se maintenir au pouvoir, a délaissé l’armée nationale (sous-équipée, inadaptée, démotivée etc), et accueilli en grande pompe les combattants touaregs (avec armes et bagages) de retour de la Libye après la chute du Colonel Khadafi. Il faut aussi noter la mauvaise application des accords d’Alger de 2006.
I.3.Un vieux projet de zone wahhabite dans le Sahel
Il y a une véritable stratégie de conquête développée par certains pays arabes avec la multiplication d’organismes spécialisés financés par eux et qui essayent de coordonner les actions de prédication sous différentes formes. Ces organismes essayent de prendre la forme d’organisations internationales avec une certaine représentativité afin d’acquérir la respectabilité et surtout le statut privilégié des ONG sur la scène internationale. Jusqu’ici, l’action des mouvements islamiques soutenue par des bailleurs du monde arabe se limitait à une concurrence aux Etats dans les domaines de l’Education et des oeuvres sociales au regard des difficultés des gouvernements respectifs à satisfaire les besoins des populations. Ainsi, des mouvements de différentes natures vont se multiplier et vont s’imposer comme la courroie de transmission de l’idéologie wahhabite surfant sur la contestation de l’islam confrérique ou traditionnel tel que connu dans plusieurs régions du Sahel(3).Cette zone d’influence d’un islam radical est clairement identifiable aujourd’hui. Il s’agit de la ligne Erythrée, Khartoum encerclant l’Ethiopie « chrétienne » en passant par N’Djamena et traverserait, les actuels Etats du Nord Nigeria appliquant la « Shari’a », le Niger et le Mali, pour aboutir au Sénégal (seul pays d’Afrique noire ayant accueilli par deux fois le Sommet de l’OCI et siège régional de la Ligue islamique mondiale entre autres).
L’idéologie salafiste et wahhabite avec ses penchants djihadistes et violents étant bien ancrée dans la sous-région, il peut arriver, à tout moment que des éléments incontrôlés passent de la pensée à l’action (cas du MUJAO qui a instauré la shari’a au Nord Mali). Ces nombreuses alertes n’ont jamais poussé les Etats à prendre des mesures préventives face à un phénomène qui inquiète aujourd’hui tous les pays de la zone Sahélo-Saharienne.
1 Les puissances coloniales se partagèrent l’Afrique et définissent les frontières des différents territoires
2 Les Accords d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal, sont des accords fixant les modalités du développement du Nord Mali. Ils permettent un retour à une normalisation des rapports entre la 8e région du Mali, la zone de Ménaka et l’État malien. Ils font suite au soulèvement touareg du 23 mai 2006 à Kidal et à Ménaka au Mali. Ils ont été conclus à Alger le 4 juillet 2006 et signés entre : Les représentants de l’État malien et les représentants de l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement. Ils ont été négociés sous la médiation de l’Algérie.
3 Analyse du Dr Bakary Sambe , Enseignant-Chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis(Sénégal)
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