Pour Thouret et D’Ercole (1996), les facteurs géographiques se réfèrent aux paramètres spatio-temporels de l’impact d’un phénomène naturel créateur de dommages et aux caractéristiques de la catastrophe. Il s’agit essentiellement des contraintes physiques de localisation et de la morphologie urbaine qui exercent une sérieuse influence sur la transformation de l’aléa en une chaîne de phénomènes dommageables. Elles se déclinent en deux principaux types de facteurs : Les facteurs limitant et les facteurs de déclenchement.
I.1. Les facteurs limitant: le site topographique et pédologie de la ville
Le sous bassin de Douala a pour sédiments dominants les sédiments du Quaternaire représentés par la formation du Wouri datée du Plio-Pléistocène. C’est une unité non consolidée, sableuse avec intercalations de silts, d’argiles et d’argilites reposant sur les grès de base. On rencontre principalement deux types de sols dans la ville de Douala :
– Les sols hydromorphes, qui sont des sols à gley ou à pseudo-gley, localisés en bordure côtière.
– Les sols ferrallitiques, qui occupent une grande partie de la ville sur des roches sédimentaires. Ils ont une texture sableuse à sablo argileuse et leur pH est acide.
Le site de bas plateau côtier de la ville est assez contrasté et favorable d’une part à une dynamique rapide des sols, et d’autre part aux inondations. La figure 8 présente le modèle numérique de terrain de la ville de Douala (MNT) qui met en évidence la nature du site topographique de la ville de Douala. Son analyse couplée à l’interprétation des profils topographiques qui l’accompagnent mettent clairement en exergue deux types d’espace aux caractéristiques topographiques différentes et susceptibles à l’occurrence de risques spécifiques.
Figure 9 : Modèle numérique de terrain (MNT) de la ville de Douala
Figure 10 : Profil topographique SE – NO de la ville de Douala (Bonassama à Bonendale)
De l’analyse et l’interprétation du le modèle numérique de terrain et du profil topographique SE – NO de la ville de Douala qui va de Bonassama (SE) à Bonendale (NO), il en ressort que les secteurs concaves et quasi monotones qui concentrent les plus faibles altitudes (inférieures à 10 m à Bonabéri et inférieures à 15 m dans la partie Est de la ville), parfois investies par un habitat spontané et précaire sont l’apanage d’inondations plus ou moins fréquentes. Dans ces secteurs, la morphologie est telle que la rivière qui coule sur des formations meubles ne peut plus approfondir son chenal du fait de la pente presque nulle et les capacités d’incision du cours d’eau sont annihilées (Tchotsoua, Op.cit.).
Quand les sols sont à dominance argileuse, dès qu’il pleut, ils augmentent rapidement de volume, la saturation est vite atteinte en surface et les inondations s’en suivent. Pour Thouret et D’Ercole (1996), ces caractéristiques déterminent le caractère et la forme prise par le phénomène lors de sa survenance. L’on note ainsi d’une part le caractère lent et durable des inondations (« regional floods ») dans les secteurs quasi monotones et les bas-fonds alluviaux des vallées a fonds plats (« U shape valley ») des bassins du Tongo-Bassa, du Mbanya, de Bessengué, de Mboppi, du Bobongo et de Bonaberi.
Les habitations y sont parfois inondées de déchets et d’eau pendant plus de 3 jours comme ce fut le cas lors des inondations catastrophiques et meurtrières du 2 et 3 Août 2000. D’autre part, on note le caractère rapide de la montée des eaux (« flash floods ») dans les bassins versants torrentiels de la Nsapé, du Ngoua et de Kambo. C’est le cas spécifique des inondations et stagnations sur la liaison du Pont Boulevard Leclerc à Bonantonè, dans la zone chefferie Bonapriso et quartier Ngangue, à Akwa (Carrefour Bonakouamouang, immeuble Dékage, Hôtel le Ndé…).
Figure 11 : Profil topographique SO – NE de la ville de Douala (Bonanjo à Ndoghem)
Les secteurs qui présentent une courbe en saillie, notamment les pentes et les corniches convexes sont généralement liés aux glissements de terrains, à l’érosion des versants, à des ravinements et des soutirages généralement suivis d’effondrements. Comme nous l’avons souligné précédemment, les sols sont constitués par des séquences sableuses et/ou argileuses, puis de terrains plus récents du Quaternaire (sables littoraux, vases noires de mangrove et alluvions fluviatiles). À cause de la faible cohésion entre les particules argilosableuses, les eaux de ruissellement les déblaient plus facilement. Par ailleurs, une telle morphologie joue un grand rôle dans la susceptibilité du site vis-à-vis des phénomènes que les intensités pluviométriques tendent à accentuer. Ces caractéristiques informent sur la cinétique du mouvement de masse dans le cas du glissement de terrain et sur la vitesse de désagrégation et d’entraînement des particules du sol dans le cas des ravinements et d’érosion des sols. Dans la ville de Douala ces secteurs sont rencontrés majoritairement dans les bassins versants Ouest de la ville. Il s’agit des plateaux Joss, de Deido-Bépanda, de Ndogbong-Bassa, de Logbaba et de la Nsapé qui concentrent les plus hautes altitudes (de 25 à plus de 45 mètres).
La figure 11 présentant les zones à risques dans la ville de Douala vient renchérir cette observation, car on voit une parfaite cohérence entre les caractéristiques morphologiques de la ville et l’occurrence d’un type spécifique de risque.
Globalement, le site topographique et la pédologie de l’espace urbain ont tendance à accentuer les effets dévastateurs de l’aléa pluies torrentielles sur la ville déjà fragilisée par une forte concentration des problèmes liés aux facteurs structurels de vulnérabilité.
Figure 12 : Localisation des sites à risque dans la ville de Douala
I.2. Le facteur de déclenchement: La pluviosité
Du fait de la proximité de l’Océan Atlantique, la ville de Douala bénéficie d’un climat de type Camerounien, caractérisé par deux saisons avec un seul minimum et un seul maximum annuel de précipitations (régime unimodal) correspondant à l’influence maritime directe de la mousson (Suchel, 1972).
Une des originalités du régime pluviométrique de la station de Douala réside dans l’association d’une saison sèche de 3 mois, soit de Décembre à Février. Caractérisée par la modicité des précipitations et une longue saison abondante en précipitations qui s’étend pratiquement sur 9 mois, de Mars qui marque le début de la saison des pluies (Tchiadeu, 2000 in Tchiadeu et Ketchemen, 2009) à Novembre. La figure 12 représente le régime pluviométrique moyen mensuel de la ville de Douala sur la période 1951-2007.
Figure 13 : Régime pluviométrique moyen mensuel (1951-2007)
Avec une moyenne interannuelle de 3864 mm pour la période 1951-2007 le facteur de déclanchement est la pluviosité représentée par le rapport hauteur/durée de précipitation. D’après les données du Centre national de météorologie, les intensités peuvent atteindre jusqu’à 564 mm/h dans la ville de Douala. Le cas récent le plus de glissement ayant causé des pertes en vies humaines a eu lieu au Quartier Madagascar, au lieu dit « CCC » en Juillet 2009 s’était déroulé concomitamment à une série inondations est survenu suite aux précipitations intenses qui d’après la presse locale ont durée près de 10 heures consécutives.
Nous avons procédé à une étude ponctuelle des précipitations journalières a travers l’analyse du pluviogramme du 11 Juillet 2007 à 8h00 au 12 Juillet 2007 à 8h00, acquis au niveau du pluviographe ‘‘précis mécanique’’ à augets basculeurs de l’ASECNA (Administration pour la sécurité de la navigation aérienne), soumis à un dépouillement, puis traitement statistique afin de mettre en relief le rôle de l’intensité des précipitations dans l’occurrence des phénomènes dommageables. Nous avons porté notre choix sur l’analyse de ce pluviogramme parce que ce jour caractérise une période significative de l’année (pleine saison des pluies), période au cours de laquelle l’on enregistre habituellement des catastrophes.
Notre analyse s’est focalisée sur une averse et la caractérisation des intensités maximales.
Une averse est un épisode pluvieux pouvant avoir plusieurs pointes d’intensité, dont la durée peut varier de quelques minutes à plusieurs heures, se caractérisant par un début et une fin brusques.
Plutôt que de considérer l’averse entière et son intensité moyenne, qui voile les disparités et les fluctuations temporelles, nous nous sommes s’intéressé aux intensités maximales, elles sont observées sur des intervalles de temps au cours desquels on aura enregistré la plus grande hauteur de pluie durant l’averse. Les résultats du découpage sont rassemblés dans le tableau ciaprès.
Tableau 26 : Exploitation du pluviogramme du 11 au 12 Juillet 2007
Les intensités maximales d’une averse s’expriment par le rapport entre la hauteur de pluie partielle (mm) observée et le temps partiel (min) de l’averse, soit :
Où :
Pp : Pluie partielle (mm) = P2 – P1 (différence entre pluie au temps t2 et pluie au temps t1)
Tp : Pluie partiel (min) = T2 – T1 (différence entre temps t2 et temps t1)
I : intensité maximale de la pluie (mm/h ou mm/min)
Ceci nous permet de construire le hyétogramme de l’averse. Le hyétogramme est la représentation graphique sous la forme d’un histogramme, de l’évolution dans le temps de l’intensité de l’averse. L’un des éléments importants d’un hyétogramme est sa forme, elle est en général caractéristique du type d’averse.
Figure 14 : hyétogramme du 11 au 12 Juillet 2007
D’après ce graphique, on voit apparaître une discontinuité dans l’évolution de l’averse. On discerne trois phases distinctes au cours de l’averse, que nous avons dénommé: La phase d’installation de l’averse (Install), le coeur de l’averse (coeur) et la fin de l’averse (fin).
Tableau 27 : Comparaison des moyennes des trois phases de l’averse
La figure 14 présente l’évolution de l’intensité pluviométrique et les phases de l’averse.
Figure 15 : Evolution de l’intensité pluviométrique et phases de l’averse.
La phase d’installation de l’averse va de 20h45min à 21h30min, elle est marquée par le début de l’averse aux environ de 20h43min. Cette phase se caractérise par une intensité moyenne (18,83mm/h) proche de l’intensité moyenne de l’averse (25,20mm/h), on a une rupture de l’intensité pluviométrique entre 21h30min et 23h25min, cette rupture est matérialisée par une chute brusque de l’indice d’intensité. L’on passe brusquement de 8,5 à 0,26 mm/h, ce qui se justifie par la faiblesse de la pluie partielle (0.5mm) dans cette tranche horaire de 115min, soit 1 h 55 min.
La deuxième phase se déroule entre 23h35min et 00h15min, elle marque la forte reprise de l’intensité de l’averse, l’on passe en un temps partiel de 10min de 0.26 à 45 mm/h pour finalement culminer à 60 mm/h en 15min. Une comparaison des moyennes des deux phases mises en évidences montre un écart de l’ordre de 17.59mm/h, soit une augmentation de 69.8%.
L’intensité moyenne de cette phase étant de 36,42mm/h, largement au delà de l’intensité moyenne de l’averse : C’est le coeur de l’averse. Cette reprise brutale de l’intensité révèle le caractère brusque et soudain des l’averses dans la ville de Douala. Ainsi, s’agissant des inondations, les populations des zones inondées ont rarement le temps de réagir au temps qui sépare les phases de l’averse. A ce sujet, le commentaire d’une habitant sinistré au cours des inondations de au quartier Bonapriso (Chefferie) en est fort expressif :
C’étais dans la nuit, il pleuvait depuis l’après midi mais comme d’habitude, l’eau ne nous dérangeait pas. Lorsque nous sommes allez nous coucher vers 22h, c’est là que la pluie s’est aggravée et peu après l’eau a commencé à entrer dans la maison. Ça nous a surpris et ça venait de partout, on ne savait pas quoi faire, on n’a pas pu sauver grand-chose. J’ai perdu mon téléviseur et beaucoup d’autres d’objets et documents importants dans l’inondation. Les enfants ont même perdu certains de leurs diplômes. Vraiment ça reste un jour très triste pour ma famille et moi.
Témoignage d’un interviewé, M.Ewondè Mbappè (habitant du quartier Chefferie Bonapriso sinistré lors des inondations de Septembre 2009)
Nous situons la fin de l’averse dès le début de la chute de l’intensité de l’averse. Elle se situe entre 00h25min et 00h55min, car cette phase se caractérise par une intensité moyenne très faible, de l’ordre de 7.95mm/h. L’on passe de 36 à 15mm/h d’intensité en 10min, soit une baisse à hauteur de 31,54%, pour finalement chuter à une intensité de 0.9mm/h 35min plus tard. Ce qui matérialise la fin de l’averse.
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