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I.1. L’être

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La notion d’être ne va pas sans poser d’énormes difficultés. En effet, ce mot peut désigner soit ce qu’est une réalité (son essence), soit l’acte d’exister par lequel elle se place dans le réel (son existence), soit encore l’être même qui exerce cet acte d’exister (l’étant). Déjà, Aristote s’était aperçu que ce mot était bigarré, ce qui lui fit dire que l’être pouvait s’entendre en des sens multiples, mais qui cependant, renvoyaient tous à un même principe (5).

Avant de relever les amphibologies que comporte ce mot, voyons si son emploi dans le langage courant s’accompagne d’une appréhension nette de ce qu’est l’être ou si cette appréhension est plutôt subreptice.

I.1.1. L’être : sens courant

Saint Thomas affirme que l’être est la première donnée de l’intelligence et que c’est ce à quoi l’intelligence ramène tous ses concepts (6). Cela n’est certainement pas à entendre dans le sens où tout homme aurait une connaissance assez claire de l’être, quitte à faire de tout homme spontanément un métaphysicien. Mais, comme le souligne A. Léonard, « le sens du texte est plutôt que tout ce que notre intelligence peut concevoir n’est jamais qu’un aspect ou une facette de l’être.(7)»

Le sens commun emploie le mot être de manière vague. Il peut parler de l’être, de l’existence, mais le sens reste toujours escamoté. Il saisit en effet l’être par effacement de différences, ce qui donne un concept vide de contenu, un peu comme on obtient le concept animal en effaçant toute différence entre chien, chat, fauve, etc. De cette façon, J. de Finance fait noter que « l’être sera un genre suprême, un cadre vide. Mais ce qui fait que l’être est être ne sera pas dégagé. (8)» Le sens commun a donc une connaissance indistincte de l’être, superficielle et tend à saisir l’être comme une forme vide qui s’enrichirait par ajout de déterminations.

I.1.2. Approches métaphysiques de l’être

Le métaphysicien ne se situe pas dans un sens opposé au sens commun. Mais il n’entend cependant pas en rester à cette saisie vague qui caractérise le sens commun. Ainsi se situe-t-il dans une sorte de continuité, en cherchant à élucider la notion d’être. Il veut saisir l’être dans sa pureté, son originalité, l’étudier en tant qu’il est tel. Aristote parle ainsi de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire l’être dans ses atributs et dans toutes les conditions qu’il peut présenter (9).

Ainsi l’effort d’élucidation de la notion d’être révèle-t-il que ce mot peut s’entendre comme verbe et comme substantif. Comme verbe, « il signifie le fait même qu’une chose soit. Pris comme nom, il signifie un être, l’une quelconque des choses dont on dit qu’elles sont. (10)»

La forme substantive de « être » est rendue en latin par « ens ». Ens désigne la chose existante, ce qui existe ou qui exerce l’acte d’exister, ou encore qui est conçu comme pouvant l’exercer.

En ce sens, être, c’est être un être. Nous voici ici dans l’amphibologie dont s’était aperçu Gilson. La forme substantive absorbe la forme verbale, au point qu’ « être un être » et « être » tendent à se confondre. En effet, si c’est parce que quelque chose « est », que quelque chose est « un être », alors affirmer l’être de quelque chose semble équivaloir à affirmer son étance. Or, si x est un être, il ne s’ensuit pas directement qu’x soit, au sens où être tout court renvoie à assumer une fonction existentielle (11). La définition de l’être semble donc entretenir une confusion entre le logique et le réel.

Pour échapper à cette difficulté, la langue française a introduit un autre verbe qui assume cette fonction existentielle : le verbe exister. Ainsi, peut-on dire d’un être, pour exprimer qu’il est, qu’il existe. Mais là encore, relève Gilson, il s’agit de la substitution d’une amphibologie par une autre, du fait d’un glissement de sens qui tend à remplacer l’être par l’exister. Car, en effet, dire d’une chose qu’elle existe peut signifier qu’elle est, ou qu’elle accède à l’être à partir de (exister s’entendant alors comme ex-sistere, sortir de, provenir de) ; et dire qu’une chose est peut également signifier qu’elle existe, ou, si elle n’a pas d’origine, qu’elle n’existe pas (12).

D’amphibologie en amphibologie, la difficulté est réelle, quant à l’appréhension de l’être. Et comme le montre J. de Finance, une telle enquête nécessite l’intervention de plusieurs autres disciplines ainsi que des analyses beaucoup plus subtiles (13). Nous ne pouvons ici entreprendre une pareille étude. Et quand bien même nous nous y serions engagés, notre langage éprouverait bien des limites pour restituer exactement la pensée. Nous serons donc toujours dans des approches, sans jamais saisir l’être dans sa vérité totale. C’est pourquoi nous parlons d’ « approches métaphysiques » de l’être. Car, nous ne pouvons l’atteindre que de biais, même à force de développement et d’argumentation (14). L’être ne se livre pas à une description phénoménologique, mais à un effort de réflexion métaphysique par lequel l’esprit lui confère sa signification. Néanmoins, ces approches nous ont permis de voir deux perspectives sous lesquelles l’être peut être entendu et aussi de l’étudier sous sa forme substantive.

Quant à l’acte d’être, c’est celui qui est désigné par la forme verbale, et rendu en latin par « esse ». C’est l’acte d’exister, ce par quoi l’étant est tel, ce qui le maintient dans l’être. Il est désigné du nom générique de « être commun » (esse commune) dans la métaphysique de saint Thomas (15). C’est l’être pensé dans toute sa généralité, ce qui est commun à tous les étants, abstraction faite des déterminations particulières par lesquelles un étant se spécifie. Pour le mieux saisir, voyons les trois aspects qu’il comporte, à savoir l’actualité, la totalité et la simplicité.

5 Cf. ARISTOTE, La Métaphysique, IV, 2, 1003a – 1004.
6 Cf. THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, I, q. 5, a. 2, réponse.
7 A. LEONARD, Métaphysique de l’être : Essai de Philosophie fondamentale, Paris, Cerf, 2006, p. 34.
8 J. DE FINANCE, Connaissance de l’être : Traité d’Ontologie, Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, 1966, p. 32.
9 Cf. ARISTOTE, op. cit., IV, 2, 1003a.
10 E. GILSON, op. cit., p. 13-14.
11 Cf. ibid., p. 15.
12 Cf. ibid., p. 17-19.
13 Cf. J. DE FINANCE, op. cit., p. 33.
14 Cf. ibid., p. 34.
15 Cf. A. LEONARD, op. cit., p. 34.

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