On peut considérer la reconnaissance de l’abbé de l’Epée comme la première opportunité de création et d’affirmation d’une “communauté sourde”. Comme les “enfants” de l’abbé de l’Epée, cette idée de famille constituée par les sourds représente assez bien l’esprit communautaire qu’ils ont su développer entre eux. Mais ce monde, plus au moins hermétique, a en fait pour conséquence une certaine méconnaissance, voire une grande ignorance de celui-ci de la part des entendants.
I.2.2.1 “L’identité sourde”
Ici, le concept de communauté renvoie bien à une réalité sociologique et non pas physiologique. C’est-à-dire qu’il ne suffit pas d’être sourd pour y appartenir, mais que le critère majeur d’appartenance est plutôt l’utilisation de la langue des signes par exemple. L’acceptation au sein de cette communauté se réalise donc par l’apprentissage de cette langue, mais aussi par certains “rites” comme le “baptême”.
Les sourds reçoivent généralement un nom en signe à l’école, de leurs pairs ou leurs aînés. C’est moins le nom ou le signe que l’on a qui importe que la personne qui nous les a donnés. Il peut arriver que le nom-signe ne soit que la simple traduction du nom de famille lorsque celui-ci se trouve vouloir dire quelque chose (ex. M. Marteau). Mais la plupart du temps, le nom-signe souligne une particularité physique saillante (comme ce fut d’ailleurs l’origine de beaucoup de noms de famille en France), et la première lettre du prénom. Le mien est donc constitué de la lettre A comme Axelle (qui se signe avec le poing fermé et le pouce levé), et du mot Vietnam d’où est originaire mon père (qui se signe avec deux doigts formant un V et souligne la courbe d’un œil bridé), cela ayant pour résultat un signe de pouce qui souligne la courbe intérieure de l’œil.
Il est tout de même intriguant de découvrir que cette communauté, qui s’est bâtie finalement en réponse au refus de l’intégration des sourds dans une société majoritairement entendante, semble parfois montrer une intolérance équivalente en refusant la présence d’entendants en son sein. Ce qui est encore plus impressionnant, ce sont les barrières que mettent les sourds de la communauté à l’égard des sourds qui ne se conforment pas aux normes : on peut penser qu’elles sont le résultat de l’intolérance qu’ils subissent, mais l’on est toujours surpris de retrouver cette même intolérance à l’intérieur de la communauté.
I.2.2.2 La “culture sourde”
La communauté sourde est constituée par ceux qui participent de la culture sourde. Par “culture”, il ne s’agit pas ici du fait d’être plus ou moins cultivé, ni de considérer l’ensemble des œuvres d’un groupe social (comme on peut parler de “culture française”) mais de tenir compte de “l’ensemble des valeurs qu’il faut partager et la connaissance des normes et des règles auxquelles il faut se conformer pour en être reconnu membre” (Bernard Mottez, 1997).
Traditionnellement, on définit la culture par opposition à la nature. Ce qui relève de la nature n’a pas besoin d’être appris, c’est inné, contrairement à la culture qui est de l’ordre de l’acquis. C’est en principe la famille qui se charge de la transmission de la langue et des valeurs culturelles, mais ce n’est le cas chez les sourds que pour la petite minorité (évaluée à 5%) de ceux dont les parents le sont également. La socialisation est donc pour la majorité plus tardive, elle se fait à l’école, d’où l’importance pour les sourds de l’école spécialisée et des internats, berceaux de leur culture.
La culture sourde se caractérise d’abord par une certaine façon d’utiliser son corps. Les mains, la voix, le regard, sont conditionnés culturellement dans le sens où les codes varient selon les cultures. Les interactions entre personnes appartenant à des cultures différentes peuvent donc parfois être gênées par une mauvaise interprétation de ces codes, pouvant alors donner lieu à certains jugements, malentendus, ou comportements racistes.
Ainsi, le rapport entre sourds et entendants est par exemple plein de malentendus liés à une façon différente d’utiliser le regard.
Les sourds ont enfin la culture du voyage. Il est vrai qu’habitués à se débrouiller dans leur propre pays, ils sont bien souvent moins embarrassés dans d’autres pays que le sont généralement les touristes entendants. Bien qu’existant une Langue des Signes Internationale (LSI), chaque communauté de sourds utilise en fait la langue des signes de son propre pays ; et pourtant, deux sourds étrangers arrivent à communiquer plus aisément que deux entendants étrangers. Pour comprendre pourquoi, il faut connaître le principe, et l’histoire de la langue des signes.
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