Parmi les compétences sollicitées par l’apprentissage de la LSF nous citions plus haut la mémoire, la coordination et l’imagination. D’un point de vue professionnel, cela peut permettre également de développer un certain sens de la créativité dont il faudra faire preuve pour guider de manière adéquate un groupe de visiteurs sourds.
II.1.1.1 Comprendre la “pensée visuelle”
Tout d’abord, afin de guider un groupe avec succès, il faut tâcher de comprendre dans la mesure du possible qu’elle est sa manière de penser, de fonctionner. C’est d’autant plus vrai concernant les sourds puisque l’utilisation de la LSF donne inexorablement lieu à une manière de penser différente de celle des entendants.
Une idée répandue affirme que les personnes privées de l’un de leurs cinq sens développeraient plus un autre sens en contrepartie. Dans ce cas, les aveugles compenseraient leur handicap visuel par un sur-développement du toucher, et les sourds compenseraient l’ouïe par la vue. Les scientifiques disputent la véracité de cette idée, mais ils s’accordent à reconnaître l’existence d’une véritable “pensée visuelle”.
En effet, le concept de pensée visuelle (également appelé “Visual Thinking”) est un processus qui consisterait en un traitement particulier des images au niveau du cerveau. Il s’explique en opposition à un mode de pensée dit “linguistique”, similaire au traitement du langage. Ce principe de pensée visuelle est très important à saisir pour le guide car il pourrait apporter un regard singulier aux personnes sourdes, leur offrant une plus grande information sur les objets observés, et donc sur le regard qu’ils portent sur une œuvre d’art.
De nombreuses études ont également abouti à la conclusion que les sourds possèdent un don particulier pour la perception des détails. Selon Zdzislaw Bielonko(18) : “L’enfant sourd est naturellement observateur, il voit très souvent des détails que l’œil de son camarade entendant ne perçoit pas” (Education artistique des enfants sourds dans le cadre de l’enseignement, 1971). L’acuité visuelle des sourds semble aussi se définir par une certaine extension du champ de vision : cela s’explique notamment par le fait que contrairement à un entendant qui regarde seulement les yeux ou la bouche de son interlocuteur, un sourd doit le regarder en entier pour comprendre le sens de son discours.
La pensée visuelle permet enfin de lever le préjugé selon lequel les sourds ont du mal à comprendre le principe d’abstraction en art, puisqu’au contraire ce mode de “pensée en images” se rapproche plutôt des modes de conceptualisation du domaine artistique.
II.1.1.2 Une autre approche des œuvres d’art
Suite à ces réflexions, nous sommes donc amenés à penser qu’il y a une différence entre un “regardeur” sourd et un “regardeur” entendant ; différence dont le guide doit tenir compte dans son approche des œuvres d’art en LSF à destination des personnes sourdes.
Il ne s’agit pas ici d’affirmer que les sourds sont plus sensibles que les entendants ou inversement ; la sensibilité est évidemment variable en fonction des personnes, qu’elles soient sourdes ou pas. On constate seulement que l’augmentation du champ visuel et la perception particulière des détails facilite probablement le regard d’une œuvre d’art.
De plus, lorsqu’un sourd s’exprime en langue des signes sur l’œuvre qu’il découvre, il la reconstruit et la resitue dans un espace alors qu’un entendant en parle sans lui redonner son volume, sa place dans l’espace et par rapport à son propre corps. Pour le guide en LSF, il s’agira donc de garder à l’esprit cette tridimensionnalité dans sa technique de guidage.
Néanmoins, la compréhension de l’art contemporain s’appuyant de façon importante sur les écrits des artistes ou critiques d’art, peu de sourds osent affronter ces écrits compte tenu de leur difficulté avec la lecture. Les enseignants estiment donc la plupart du temps que leurs élèves sourds sont dans l’incapacité de comprendre cet art et qu’il n’est dans ce cas pas nécessaire d’essayer de développer cette partie de leur culture. C’est ici que le rôle du guide sera primordial puisque, connaissant son sujet, son public et ses difficultés, il devra savoir transmettre ses connaissances en tenant compte de tout cet ensemble.
Même si l’on peut tout traduire avec la LSF, l’enjeu est plutôt ici de donner à voir plus que d’expliquer. Il s’agira d’utiliser tous le corps et les expressions du visage nécessaires pour montrer, faire sentir, et enfin faire comprendre. Cet exercice se révèle au final très utile pour parler d’art avec tous types de public.
18 Membre de la Commission Art et Culture de la Fédération Mondiale des Sourds.
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