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Introduction

ADIAL

« Personne n’y croit, tout le monde la veut, l’égalité »
(L. Sfez, 1989).

Comme l’observait Tocqueville au XIXe siècle dans La Démocratie en Amérique : « Le fait
particulier, dominant, qui singularise les siècles démocratiques, c’est l’égalité des conditions
; la principale passion qui agite les hommes dans ces temps-là, c’est l’amour de cette égalité.

Ne demandez point quel charme singulier trouvent les hommes des âges démocratiques à
vivre égaux, […] l’égalité forme le caractère distinctif de l’époque où ils vivent ; cela seul
suffit pour expliquer qu’ils la préfèrent à tout le reste »(1). À partir de la fin du XIXe siècle, la
recherche d’une égalité concrète a complété l’égalité formelle qui avait été exprimée avec
éclat par l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen aux termes duquel
« les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Aux termes de l’article 1er de la
Constitution du 4 octobre 1958, la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens
sans distinction d’origine, de race ou de religion ». L’égalité et la dignité de la personne
humaine fondent la prohibition des discriminations(2). L’interdiction de discrimination forme
l’expression négative du concept d’égalité.

« Il ne faut bien entendu pas confondre discrimination [ou l’interdiction de discrimination] et
inégalité de traitement [ou l’égalité de traitement], la première constituant l’espèce et la
seconde le genre »(3). Toute rupture d’égalité n’est pas une discrimination car seule est ainsi
qualifiée une distinction opérée selon certains critères spécialement visés par la loi pénale. Il
serait envisageable de concevoir la discrimination de la façon la plus large comme toute
distinction, acceptable ou condamnable. Le Dictionnaire de l’Académie française définit ainsi
la discrimination comme l’« action de distinguer, de séparer deux ou plusieurs éléments
d’après les critères distinctifs » ou encore comme l’« action de distinguer une personne, une
catégorie de personnes ou un groupe humain en vue d’un traitement différent d’après des
critères variables ». Pourtant, dans le domaine juridique, domine une définition plus restreinte
qui limite la discrimination à la distinction fondée sur des raisons prohibées. Le Vocabulaire
juridique de l’Association Henri-Capitant présente la discrimination, dans un sens général,
d’abord comme une « différenciation contraire au principe de l’égalité civile consistant à
rompre celle-ci au détriment de certaines personnes physiques en raison de leur
appartenance raciale ou confessionnelle, plus généralement de critères sur lesquels la loi
interdit de fonder des distinctions juridiques […] ou au détriment de certaines personnes
morales en raison des mêmes critères appréciés sur la tête de leurs membres […] », et ensuite
comme étant « plus rarement, dans un sens neutre, synonyme de distinction (non
nécessairement odieuse) ». Face aux discriminations interdites existent naturellement des
distinctions valables que les assureurs utilisent aux fins de segmentation et de sélection des
risques. Ces différences, bien que justifiées par hypothèse, ont pu être contestées en invoquant
un grief de discrimination : tel fut notamment le cas du critère du sexe. Ainsi, le droit des
assurances assiste à l’émergence d’un principe d’égalité entre assurés (1ère Partie).

L’égalité était initialement conçue pour régir les relations verticales, à savoir le comportement
de l’Etat à l’égard des citoyens. Cependant, dans les rapports horizontaux entre sujets de droit,
la liberté de chaque citoyen trouvait son expression dans le principe d’autonomie de la
volonté et du commerce régissant également les rapports contractuels et l’activité économique
dans une économie de marché. Les mouvements d’émancipation sociale et le développement
de l’intervention de l’Etat dans la vie économique sont autant de facteurs qui ont conduit à
introduire dans le monde des affaires, sous de multiples formes, des règles visant à assurer un
certain degré d’égalité des acteurs de la vie économique, ou au moins à éviter des inégalités
patentes.

Le principe d’égalité de traitement a vocation, à présent, à créer des obligations juridiques
dans les rapports horizontaux. De plus en plus, on voit apparaître en droit positif les
expressions d’un principe d’égalité de traitement dans les relations horizontales. Ces
manifestations du principe d’égalité de traitement et de non discrimination sont multiples. A
l’origine, ce concept s’appliquait essentiellement dans les relations entre le citoyen et les
pouvoirs publics ; l’interdiction de discrimination a pénétré durant les dernières décennies la
sphère des relations de droit privé dans différents domaines et pour des motifs divers :
notamment en matière de protection sociale dans les relations de travail (égalité de sexe),
quant à la prolifération de ces règles en droit des assurances, c’est un phénomène relativement
récent.

Les normes internationales, communautaires, européennes et internes montrent à travers leurs
prescriptions une détermination croissante dans la lutte contre les discriminations.

Le droit de l’Union européenne participe notamment à la lutte contre les discriminations.
C’est d’ailleurs sous l’impulsion du droit communautaire que le principe d’égalité entre les
sexes s’est concrétisé en matière d’assurance.

En vertu du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), il revient en effet au
Conseil de prendre les mesures nécessaires afin de lutter contre toute discrimination fondée
sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou
l’orientation sexuelle. L’égalité des sexes a toujours été un principe essentiel de l’Union, le
traité de Rome ayant introduit, dès 1957, le principe d’égalité de rémunération entre les
hommes et les femmes. Aujourd’hui, l’égalité entre les femmes et les hommes continue d’être
l’un des principes fondamentaux du droit de l’Union. Les objectifs de l’Union européenne
(UE) en matière d’égalité entre les femmes et les hommes consistent à assurer l’égalité des
chances et de traitement entre les genres, d’une part, et à lutter contre toute discrimination
fondée sur le sexe, d’autre part. En outre, l’article 23 de la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne, au respect de laquelle est astreint le législateur européen, pose le principe
général selon lequel « l’égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les
domaines, y compris en matière d’emploi, de travail, et de rémunération ». Au visa de l’article
8 du TFUE, la directive 2004/113/CE a été adoptée en vue de combattre toute discrimination
fondée sur le sexe, notamment en matière d’égal accès et fourniture à l’assurance. Il faut ici
souligner que cette directive ne vise pas à mettre en oeuvre un droit égal d’accès aux services à
des catégories de personnes, par exemple entre les hommes et les femmes, chacun de leur côté
considérés de façon collective. Le droit d’accès égal prévu par le droit de l’Union européenne
n’est pas un droit de groupe. C’est un droit individuel. Chaque citoyen européen peut
l’invoquer. L’article 157 du TFUE a un effet direct horizontal, en ce sens qu’il peut être
invoqué dans des litiges qui opposent des assurés à leur assureur.

Le déploiement du principe d’égalité en matière d’assurance suscite des interrogations quant à
l’adaptation du secteur de l’assurance à une conception individualiste de l’égalité.

L’assurance est en effet présidée par des mécanismes qui lui sont propres et n’ayant pas la
même approche de l’égalité que celle des droits fondamentaux. Se confrontent deux
approches antagonistes de l’égalité : l’une individualiste fondée sur les droits de l’Homme,
l’autre collective, dite «de groupe », où l’égalité est assurée entre des groupes d’assurés et non
par tête.

L’approche individualiste de l’égalité issue des droits fondamentaux veut que chacun dispose
d’un droit subjectif. Dans cette tradition, le droit à l’égalité de traitement appartient à une
personne en sa capacité en tant qu’individu et non pas dans sa capacité en tant que membre
d’un groupe sexuel par exemple. Un individu ne peut pas être traité différemment en raison de
son appartenance à un tel groupe, en particulier à un groupe auquel il n’a pas choisi
d’appartenir. Quant à l’approche dite « de groupe » de l’égalité, elle correspond à celle en
vigueur dans le mécanisme assurantiel. La tradition d’assurance analyse les risques, les primes
et les honoraires de prestations en termes de groupes. Les actuaires ne peuvent pas penser des
individus, sauf en tant que membres d’un groupe. Ainsi, ce sont les différences entre les sexes
et non pas les différences individuelles qui sont prises en compte pour justifier par exemple la
différence des primes, pour expliquer la différence de prestations ou fonder un mécanisme de
sélection. L’assurance vie et l’assurance automobile constituent des exemples révélateurs de
cette approche. En raison des spécificités de fonctionnement de l’assurance, il est aisé de
constater que l’objectif des compagnies d’assurance est de préserver l’égalité entre les groupes
et non entre les individus, c’est pourquoi les assureurs pensent en termes de moyenne, la
femme et l’homme moyen.

L’introduction progressive du principe d’égalité dans le secteur de l’assurance en
commençant par la consécration de l’égalité entre assurés (Partie I) génère une nécessaire
adaptation du secteur de l’assurance (Partie II).

1 A. de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835-1840), Paris, Flammarion, 1981, t. 2, p. 120.
2 L’article 2 de la loi du 27 mai 2008 condamne la discrimination « sans préjudice de l’application des autres
règles assurant le respect du principe d’égalité ». Les discriminations figurent, dans le Code pénal, dans un
chapitre consacré aux atteintes à la dignité de la personne.
3 C.RADE, Discriminations et inégalités de traitement dans l’entreprise, éditions liaisons, collection Droit vivant.

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