La littérature maghrébine d’expression française se caractérise par l’appartenance à un espace, une chronologie et à une Histoire. Elle a rompu avec la tradition de la production littéraire arabe qui privilégiait le genre poétique et théâtral, tout en choisissant la langue française pour recourir à la forme romanesque, une forme plus récente et plus dominante puisqu’elle a un large public contrairement à la poésie et au théâtre qui sont restés marginalisés dans leurs choix d’écriture. Il est à signaler aussi que ces écrivains maghrébins n’ont pas rompu seulement avec la tradition arabe, mais ils ont rompu aussi avec la tradition romanesque française, leurs écritures avaient d’abord consisté à imiter les auteurs européens, puis à dévoiler le non-dit masqué par cette imitation, en tentant d’expliquer le Maghreb aux autres. Telle avait bien été la démarche de grands auteurs comme Feraoun, Mimouni, Assia Djebar, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Abdelhamid Benhaddouga, Mouloud Mammeri et d’autres qui ont donné à la littérature algérienne cet élan qui ne cesse d’impulser les œuvres littéraires de ces dernières années.
Cette littérature maghrébine d’expression française, dominée par les noms d’hommes, a aussi donné aux femmes le droit à la parole et l’expression libre afin d’imposer leurs noms et leurs écritures. Des noms de femmes ont illustré le patrimoine littéraire de cette région du Maghreb comme: Assia Djebar, Maïssa Bey, Nina Bouaraoui, Leila Sebbar, et d’autres connues et reconnues de par leurs engagement littéraire.
La diversité des écritures des femmes algériennes est patente : elles occupent le terrain, avec talent et provocation, tendresse et ironie. Le temps de l’effacement est révolu. Nous entrons dans celui de la diffusion avec une nécessaire différenciation entre œuvres littéraires et expressions personnelles de revendication et de témoignage.
Ces femmes écrivaines n’ont pas attendu les années 80 pour écrire, s’exprimer et créer. La littérature féminine algérienne, qui comme toute littérature, se construit en fonction d’antériorités : Les Algériennes ont créé dans l’oralité, traduisant par la voix et le geste, les émotions, les sentiments et leur être au monde. Cette antériorité ancestrale est constituée de poèmes dits et chantés, de contes et de proverbes transmis d’une génération à l’autre, d’improvisations rituelles, de légendes et de chroniques. Les écrivaines vont entretenir avec cette tradition orale et écrite une relation de déférence, une relation de reproduction, une relation de transformation.
Les années 80 sont aussi, d’un bout à l’autre du Maghreb, fécondes pour cette littérature de langue française : auteurs nouveaux, écritures nouvelles. Les témoignages et les récits de vies sont devenus de plus en plus intensifs. Cela se remarque sur l’ensemble de la littérature algérienne de fiction et de témoignages; on veut parler en toute liberté, plaider sa propre cause, sortir du silence. Un grand nombre de romans avait pour héroïne une femme qui, au sens héroïque du terme, n’existe que sur le papier parce qu’elle n’est pas encore inscrite socialement c’est-à-dire elle est seulement en train d’advenir. Et elle n’adviendra dans la littérature que lorsque les femmes seront les héroïnes de leur vie, qu’elles auront appris la liberté.
Ainsi, Comment cette liberté investit-elle les différents récits de ce recueil de nouvelle?
Il est trop clair que ce ne peut être que par une décision et un choix qui est guidé par la volonté de se libérer de quelque chose ou trancher un conflit. Les tendances, les désirs, les sentiments, ainsi que les idées commandent davantage les conduites humaines. La liberté chez Maïssa Bey se traduit par plusieurs formes d’expressions : une rupture avec la société et le système, une interrogation sur son passé et son avenir, une écriture sur son quotidien péril, et un désir de dévoiler les souffrances des femmes.
L’écrivaine de Sous le jasmin la nuit effectue un voyage réel et imaginaire à la fois vers son origine. Ce retour, symbolique pour de multiples raisons, se présente comme recherche ou recueil des images et des voix pour constituer une mémoire collective à laquelle la narratrice peut s’identifier
Maïssa Bey :
Aujourd’hui, il existe au Maghreb une nouvelle génération de femmes qui investissent l’espace littéraire. Le monde arabe traverse actuellement une crise profonde remuée de soubresauts terribles. Dans ce contexte les femmes sont vulnérables, elles subissent la répression et les interdits. Il est donc important que des femmes écrivains expriment leur vécu, parlent de leur statut difficile, mettent en scène leurs préoccupations fondamentales. En tant que membre de cette génération d’écrivains, Maïssa Bey se sent un peu comme la porte-parole de toutes ces souffrances silencieuses.
Comme d’autres romancières, elle décide de se battre contre le mensonge et l’hypocrisie qui, depuis des siècles, entourent la condition des femmes algériennes qui sont tenues dans le silence : son écriture, du fait même de son existence, incarne la dissidence. Dissidence, mais également paradoxe par la possibilité de vie et de mort : l’écriture est en effet Vie, Création et Espoir. Cependant, les mots sont plus dangereux que les armes ; ils dévoilent ce que l’on ne doit pas montrer, ils disent ce que l’on veut cacher. Ainsi, témoigner, dire l’innommable, tel est le but de Maïssa Bey dont l’écriture est à la fois dissidence et paradoxe.
Née à Ksar el Boukhari, petit village au sud d’Alger, en 1950, Maïssa Bey de son vrai nom Soumia Benameur a suivi des études de français, une langue qu’elle a adorée (selon elle). Elle devient enseignante. Elle est également fondatrice et présidente d’une association de femmes algériennes « Paroles et écriture ». Maïssa Bey a traité de différents thèmes : les femmes, l’amour, la souffrance et la mort, et surtout l’Algérie. Avec la beauté d’une écriture dans l’éclat de sa maturité, des femmes, des mères, des sœurs, des amantes aiment, pleurent et meurent sous les regards de leurs hommes. Cet écrivain se fait l’écho de ses détresses et de ses bonheurs avec une immense compassion et un talent qui s’affirme de livre en livre. Elle construit une œuvre riche et exigeante, thématiquement et esthétiquement inscrite dans la durée. Sans doute afin d’être en accord avec sa conception de la littérature qu’elle envisage comme le lieu privilégié du doute et de l’interrogation.
Maïssa Bey a obtenu le Prix de la Société des Gens de Lettres pour son livre « Nouvelles D’Algérie» (édition Grasset, 1999), « Cette fille-là en 2001 aux éditions de l’Aube, couronné par le Prix Marguerite-Audoux. Et en 2005 le Prix des Libraires Algériens pour l’ensemble de son œuvre.
Les travaux universitaires faits de son œuvre sont rares. Les études portaient essentiellement sur : Bleu, Blanc, Vert (L’Aube et Barzakh, 2006), Au commencement était la mer (Marsa, 1996), Surtout ne te retourne pas (L’Aube et Barzakh, 2005). Elles portaient sur des thèmes intimement liés à cet aspect maghrébin qu’a son œuvre. La colonisation de l’Algérie, l’indépendance, le problème identitaire, le terrorisme, la femme, etc…, tous sont des thèmes qui investissent le domaine des recherches et analyses littéraires.
Sous le jasmin la nuit
C’est pourquoi nous nous proposons dans le présent travail d’étudier une de ses dernières œuvres « Sous le jasmin la nuit ». Ce titre est inspiré d’une chanson : « Retrouver les paroles de cet air qui chante en elle sous le jasmin la nuit oui cette chanson d’autrefois venue sur ses lèvres elle ne sait comment elle ne sait pourquoi sous le jasmin la nuit c’est peut-être ça, seulement l’odeur pas l’obscur » P.12
Depuis des siècles, le jasmin est considéré en Orient comme le symbole de l’amour et de la tentation féminine.
Coédité aux éditions l’Aube et Barzakh (2004), ce recueil de nouvelles sur lequel aucune analyse n’a été faite auparavant est composé de onze nouvelles : « Sous le jasmin la nuit », « En ce dernier matin », « En tout bien tout honneur », « Improvisation », « Si, par une nuit d’été », « Sur une virgule », « Nonpourquoiparceque », « Nuit et silence », « Main de femme à la fenêtre », « C’est quoi un arabe ? » et « La petite fille de la cité sans nom » où le rêve et l’ordinaire se mêlent étrangement. Le rêve de toute femme qui lutte et se cherche, et l’ordinaire d’une société où le mâle règne en maître absolu. Celui-ci, le suprême décideur du sort de sa sœur, de son épouse et de sa mère fait de l’ombre. Il est l’opposant, celui qui freine la liberté ou la personnalité de la femme. Les récits sont surprenants, captivants et le lecteur est très vite happé par l’histoire, jusqu’à se mettre dans la peau de chaque héroïne. Sans alourdir le récit et en donnant juste ce qu’il faut comme détails, Maïssa Bey réussit à conter et à décrire ces femmes, leurs sentiments et leurs ressentiments pour les rendre plus réelles qu’elles ne le sont. Les récits pénétrés de pudeur et de sobriété semblent sortir du plus profond de la mémoire : Celle de Maïssa Bey, celle de la femme algérienne. L’écrivaine aborde le viol, l’enlèvement, la polygamie, l’autorité masculine avec beaucoup d’aisance. Colère et mélancolie jaillissent de ces récits dans un style souple et vif.
Ce recueil, comme on l’a déjà cité, composé de onze récits portant chacun sur une histoire différente mais qui convergent tous vers une fin voulue de Maïssa Bey : démontrer le degré et l’ampleur de la violence sur le monde, sur les êtres qui se battent pour leur identité, leur vie et aussi leur liberté, même si celle-ci ne se rencontre parfois que dans la mort.
Le thème qui nous a semblé le moins abordé était la liberté dans les écrits de Maïssa Bey. Apporter du nouveau d’une part, et redonner à son œuvre une autre dimension d’une autre part, furent les principales raisons qui nous ont poussé à réaliser ce mémoire. Comment se manifeste la liberté dans l’œuvre de Maïssa Bey « Sous le jasmin la nuit » ? Une question à laquelle nous tenterons de répondre tout au long de cette analyse. La première question que nous nous posons est de savoir de quel genre de liberté pourrait-il s’agir ? Nous y répondrons en étudiant progressivement l’œuvre. La réponse divisera notre travail en trois chapitres : le premier et le deuxième chapitre traitera la liberté comme thème ou « l’écriture de la liberté », un thème dont il nous est imposé de le définir afin de clarifier le sens.
Dans le premier et le deuxième chapitre, nous essayerons d’étudier ces différentes histoires afin de dégager et de classer les principaux thèmes qui construisent les nouvelles. Il est à noter que contrairement à ses œuvres précédentes, l’Algérie ne constitue plus le cœur de ses écrits. Elle se consacre aux femmes et seulement au vécu de la féminité. Cette vocation est imposée à l’écrivaine par le changement de circonstances donnant naissance à d’autres des priorités. Maïssa Bey n’écrit pas que pour soi, mais pour tout lecteur francophone qu’il soit algérien, maghrébin ou autre. Ainsi, les événements qui ont endeuillé l’Algérie tiennent une place plus ou moins importante dans les romans et les nouvelles. Nous verrons se défiler une certaine violence humaine « Nuit et silence » et naturelle « Main de femme à la fenêtre » entrainant un combat persévérant, épouvantable et inébranlable pour une liberté tant recherchée, tant revendiquée.
Dans le troisième chapitre, il sera question d’un autre aspect de la liberté : celui de l’écriture ou « la liberté de l’écriture » ainsi que les moyens employés par l’auteur lui permettant d’appuyer la liberté thématique.
Nous finirons notre travail par une étude de l’esthétique de la liberté en analysant de manière plus détaillée l’éclatement de la parole et la liberté du langage utilisé par cette romancière.
Pourquoi la liberté ?
La liberté, par définition est la possibilité d’agir, de penser, de s’exprimer selon ses propres choix. Elle est l’Attitude de quelqu’un qui n’est pas dominé par la peur, la gêne, les préjugés (1).
En philosophie, la liberté d’opinion, d’expression, de pensée (ou de penser) est le droit d’exprimer librement ses pensées, ses opinions et de les publier. Elle est aussi l’état de l’homme qui se gouverne selon sa raison, en l’absence de tout déterminisme.
La question de la liberté peut être considérée comme une question métaphysique par excellence dans la mesure où elle concerne le statut de l’être humain au sein de la nature.
La liberté qualifie en effet la relation de l’être humain en tant qu’agent, et du monde physique, relation notamment considérée dans son rapport à un déterminisme supposé ou réel. Cette question concerne donc particulièrement l’immanence et la transcendance de la volonté humaine par rapport au monde. Elle s’oppose en général au déterminisme, au fatalisme et à toute doctrine qui soutient la thèse de la nécessité du devenir.
Il convient de signaler que l’écriture de Maïssa Bey est marquée par une sorte de quête ontologique. Elle s’intéresse à l’être en tant qu’être, elle le défend. Là, la femme est le centre d’intérêt de l’écrivaine. Ainsi, nous serons amenés, en empruntant à l’analyse sémiologique certains de ses instruments, à interroger les territoires où se manifeste la liberté liée aux différentes formes de violences marquant ce recueil de nouvelles. La liberté et la violence, investirent presque tous les récits qui, comme des « tranches de durée » manifestes caractérisent les différentes formations discursives fonctionnant d’ailleurs comme autant de «tâches » et de « lieux éclatés » concourants à la mise en œuvre du discours romanesque. Aussi, serons-nous obligés de questionner les espaces médiateurs mettant en œuvre le passage d’une instance tirée de l’actualité au jeu de la fiction.
Maïssa Bey essaye de construire un univers romanesque marqué par une certaine dualité au niveau du jeu des personnages et des instances spatio-temporelles. C’est pour cette raison que nous verrons comment s’organise cette structuration binaire qui fait du lieu l’espace paradoxal d’une présence double et du personnage une entité à double face. C’est à travers le jeu de la parole que se construit le discours romanesque.
1 – Le petit Larousse illustré.2007.
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