Ne pas s’aligner sur un modèle agricole productiviste, devient à l’heure actuelle très difficile pour un agriculteur européen. Face à lui, un marché compétitif et des politiques agricoles et industrielles communes d’ouverture commerciale qui favorisent et subventionnent un système de production à grande échelle. La recherche de l’augmentation constante de rentabilité est devenue un impératif, depuis les deux dernières décennies, qui exclut de plus en plus les agriculteurs et menace les espaces ruraux. Pour Favreau et Molina (2012), il est difficile de se séparer d’une formule qu’ils appellent « gagnante ». Il s’agit de « se spécialiser, s’agrandir et se moderniser » pour avoir plus de rendements en diminuant ses coûts de production. (Favreau et Molina 2012 : 89).
Le passage à la modernité, les changements de styles de vie, les processus migratoires, le développement des villes et ses différents processus d’urbanisation et périurbanisation, entre autres, sont des facteurs favorables au développement rapide des industries agroalimentaires qui se voient accompagnées par une évolution radicale des habitudes alimentaires chez la grande majorité des ménages européens. Par exemple, Reginier, L’huissier et Gojard (2006) utilisent le terme de « malbouffe » pour caractériser les habitudes et régimes alimentaires industrielles du monde occidental. En effet les produits industriels sont offerts en abondance ce qui provoque leur diminution des prix et l’augmentation de la demande. Il s’agit en effet des pratiques d’achat « conformes à une culture de consommation », et au détriment d’une grave perte des modes et pratiques traditionnelles spécifiques d’alimentation. (Reginier, L’huissier et Gojard, 2006 : 65)
Cependant, le développement de l’industrie agroalimentaire et l’évolution des habitudes de consommation chez les ménages se traduisent par plusieurs dysfonctionnements à différentes échelles. De nombreux travaux de recherche ont déjà mentionné d’une manière récurrente, les graves crises environnementales et alimentaires. Ils remettent en cause ce système hyper productiviste de l’industrie agro-alimentaire, et nous amènent bien évidemment, à repenser le développement rural et le modèle de production agricole tel qu’il est envisagé et encouragé aujourd’hui.
Parallèlement à ces crises, le modèle agro industriel actuel est aussi responsable d’une forte « déstructuration des espaces ruraux(3) ». Il fragilise économiquement et socialement les petits et moyens producteurs qui sont exclus et de plus en plus éloignés des problématiques locales. De fait, l’exclusion en tant que processus lié à la rupture des liens sociaux, affecte surtout les petits producteurs pluriactifs avec une perte du lien identitaire, une fragilisation du lien avec l’emploi, et une intégration difficile dans les réseaux sociaux (Chiffoleau, 2012 : 89 – 91). Cette déconnexion « acteur – territoire » constitue un danger pour le maintien des interactions et dynamiques relationnelles, utiles à préserver le capital social(4) et le bon fonctionnement des marchés locaux.
Aujourd’hui la recherche constante, l’analyse et le développement de systèmes alternatifs aux modèles agro-industriels dominants, sont une priorité pour faire face à un système hyper-productiviste, qui menace de plus en plus la préservation des espaces ruraux ainsi que le maintien de plusieurs dynamiques d’acteurs ancrées, favorables au développement territorial.
Pour les agriculteurs, intégrer des systèmes de productions et commercialisation dits « alternatifs », représente une option concrète pour mieux valoriser leur production et dynamiser leur territoire. Face à une impuissance des politiques publiques et dans une logique « d’innovation sociale »(5), qui consiste à établir des nouvelles formes d’organisations, collaborations ou coopérations entre acteurs pour mener des actions et des stratégies en réponse à des besoins sociaux non ou mal satisfaits, la prise en main de leur développement par les agriculteurs constitue actuellement une réalité qui se développe d’une manière encore limitée mais en expansion constante. Cela peut permettre d’une certaine façon de créer un mouvement de reconnexion de l’économie avec la population et de retour à la proximité. Pour Traversac et Kebir (2010), cette dynamique de « reprise du contrôle de la chaîne de distribution alimentaire » permettrait aux producteurs d’imposer un modèle économique indispensable pour le maintien de l’agriculture en faveur de ses acteurs directs, et représenterait « une clef de reconstruction d’un territoire rural ».
Il s’agit bien donc, d’aller vers un « modèle agricole territorial », Favreau et Molina (2012), qui puisse garantir un équilibre à long terme entre la satisfaction des besoins d’une population touchée par les crises alimentaires, et les besoins des agriculteurs exclus et affaiblis par le modèle productiviste dominant. Dans cette logique, on peut expliquer « l’intérêt croissant » porté actuellement sur les systèmes agroalimentaires alternatifs (Deverre, et Lamine, 2010). En effet, le modèle des circuits courts, faisant partie, bénéficie actuellement d’un véritable soutien de la part de plusieurs acteurs tels que les agriculteurs, les consommateurs et les instances territoriales, (Chiffoleau et Aubry, 2009). Ce modèle est un espace d’échange basé sur le de dialogue territorial entre nouveaux acteurs et la construction de dynamiques participatives capables de redonner une valeur ajoutée à l’agriculture.
Pour bien comprendre ce modèle il faut partir de l’idée qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle forme de distribution alimentaire, mais au contraire qui existe depuis presque toujours. Selon Dufour et Lanciano (2012), face à une demande croissante de consommation locale, on assiste à une « réactivation de modes de commercialisation réduits pendant la période de « la modernisation, tels que la vente à la ferme ou les marchés ». Parallèlement, des formes nouvelles ou « innovantes » s’ajoutent, comme les systèmes de paniers, la vente par correspondance ou via internet ou encore les points de vente collectifs, thème de notre sujet, qui s’inscrivent à la fois dans une démarche commerciale, individuelle ou collective.(6)
Même s’il n’existe pas encore une définition officielle le consensus se construit autour du nombre d’intermédiaires entre producteur et consommateur (Aubry et Chiffoleau, 2009). L’objectif ést celui de réduire au maximum le nombre d’intermédiaires, pour que le producteur agricole soit le premier gagnant dans la vente de ses produits. Selon le ministère de l’agriculture français, les « circuits courts » sont considérés comme des modes de commercialisation des produits agricoles qui sont pratiqués, soit de façon directe entre le producteur et le consommateur, soit engageant au plus un intermédiaire (Henry, 2012 : 49).
Dans cette vague de développement des circuits courts, et considérant qu’il existe un manque d’analyses approfondies dans plusieurs thématiques portant sur les connaissances spécifiques des marchés au niveau national et local, puis sur la compréhension des pratiques d’achat des consommateurs et leurs attentes, le GRET en partenariat avec l’AFIPAR(7) mettent en oeuvre dans la région de Poitou-Charentes(8), le projet CODIA(9). Celui – ci consiste à analyser la demande des consommateurs, à mieux identifier les freins et leviers au développement des circuits courts pour ensuite appuyer les agriculteurs dans la construction de leurs relations marchandes avec les consommateurs. Le projet CODIA, possède une application concrète sur le territoire. En ce sens la mission qui m’est accordée dans le cadre de mon stage de fin d’études se réalise au service de l’AFIPAR, autour d’un projet porté par des producteurs visant l’ouverture d’un point de vente collectif sur le Pays Haut Val de Sèvre.(10)
L’analyse de l’offre et de la demande en circuits courts sur le territoire cible, font partie des taches à réaliser lors de ma mission. Pourtant j’ai décidé de proposer une analyse interne du groupe des producteurs sous la forme d’un cadre logique, dans le but d’enrichir l’étude et afin de pouvoir mieux comprendre les niveaux d’organisation et la structuration des dynamiques de l’offre, internes du groupe. Cette démarche spécifique permettra d’adapter les futures actions des producteurs à la construction d’une stratégie de commercialisation durable en circuits courts et de garantir la pérennité du projet de magasin collectif.(11)
3 Nous allons comprendre ici la déstructuration des espaces ruraux comme un processus qui se caractérise notamment par une rupture entre Agriculture et Territoire, réseaux locaux d’acteurs et problématiques locales.
4 Ensemble de ressources […] liées à la possession durable de relations […] d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance. » Bourdieu (1980).
5 Définition donnée par Rodolphe Vidal, dans « L’économie sociale de A a Z », Alternatives Economiques, Hors–série No38 Bis, Mars 2009
6 Jean Claude Renard (2013), “Contre la malbouffe, manger local”, Dossier alimentation, Politis n 1241, février.
7 AFIPAR : L’association de formation et d’information pour les paysans et les ruraux, Organisme coordinateur du projet CODIA en Poitou-Charentes.
8 Projet mise en marche dans 6 territoires test en France, dont l’un en Poitou-Charentes.
9 CODIA : « Circuits courts en Europe : Opportunités commerciales et dialogue avec la société. »
10 Voire Carte détaillée des producteurs en Annexe 1.
11 La proposition réalisée, consistai, dans une démarche d’approfondir la recherche, a bien identifier des problématiques communes existantes au niveau de l’offre pour analyser ensuite des besoins et d’attentes réciproques.
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