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IV-1 Il y a 15 ans, un pays, deux constructeurs, des mesures et l’échec du véhicule électrique

Sans vouloir réaliser l’analyse ; qui apparemment n’a jamais été faite officiellement après renseignements pris auprès du CERTU ; de l’échec du lancement du V.E. utilitaire et particulier en France, il y a quinze ans, il m’a semblé toutefois nécessaire d’essayer d’en appréhender les raisons.

Cette démarche aura un objectif simple : elle pourra aider à identifier certains problèmes, lacunes ou erreurs qui ont voué ce projet fort louable et fort prometteur à un échec cuisant.

Cette analyse n’étant pas le résultat d’une étude scientifique, elle portera en elle, certainement ma subjectivité, même si je vais m’efforcer de la réduire au maximum.

IV-1-a Une initiative uniquement politique ?

Tout d’abord, il est important de souligner que l’aventure des V.E. fut initiée (seulement) par l’Etat français.

Elle fit donc suite à une demande politique très forte due à une prise de conscience globale des problèmes environnementaux dès cette époque par l’administration française (seulement).

L’objectif était de proposer des véhicules à usage urbain affichant « zéro » émission.

L’Etat français s’appuie donc, logiquement, sur ses constructeurs nationaux Peugeot-Citroën et Renault, pour mettre en place ce projet, sans vraiment ressentir de leur part, un réel engouement.

Mais c’est ainsi, que dès 1995, la 106 «100% électrique » est proposée à la vente avec des arguments péremptoires que l’on trouve dans la brochure de 1994, qui pourraient être toujours utilisés aujourd’hui.

Il est d’ailleurs intéressant de citer quelques arguments pêle-mêle :

– une technologie de pointe pour un minimum d’entretien ;
– l’avenir est à l’intelligence que nous mettrons à bien utiliser les atouts de la mobilité électrique ;
– la voiture électrique a atteint sa maturité. Elle est prête à répondre aux attentes de la ville ;
– solide et robuste le moteur […] peut faire parcourir plusieurs centaines de milliers de kilomètres ;
– vivre en ville les fenêtres ouvertes ;
– c’est un évènement de société ;
– il est temps d’enrayer les méfaits d’une circulation qui ronge nos villes faute d’imagination ;
– le V.E. doit être l’occasion de créer de nouvelles habitudes ;
– une grande nerveuse avant tout silencieuse.
(Source : brochure 106 électrique 1994 sur http://vehiculeselectriques.free.fr)

On en reste pantois.

Or, si l’Etat était sensibilisé à cette problématique, ce ne fut peut-être pas encore le cas pour la population qui y fut beaucoup moins réceptive.

Le V.E. est peut être arrivée prématurément sur le marché, à un moment où la population ne fut pas suffisamment informée et éduquée, et donc réceptive et sensible aux problèmes de santé publique et environnementaux (comme aujourd’hui avec le réchauffement climatique).

De plus, le prix du pétrole n’avait pas non plus atteint les sommets de 2008. Clairement, les mesures d’information et d’éducation n’ont pas été suffisantes.

IV-1-b Quelques mesures et des changements d’habitude…

Cependant, Il y eut objectivement des combinaisons de mesures.

Tout d’abord, cette louable impulsion de l’Etat français de lancer le projet industriel du V.E. avec les constructeurs nationaux s’est accompagnée d’un soutien financier via l’achat de flotte V.E. pour certaines administrations.

De plus, il y eut certainement d’autres soutiens financiers plus directs aux constructeurs mais je n’en ai pas retrouvé la trace.

Néanmoins, ces achats de V.E. « administratifs » se sont traduits par un usage en agglomération qui, avec leur développement, aurait eu, comme objectif, de servir de mesure d’exemplarité.

Il y eut aussi une aide financière pour les particuliers et entreprises, mais cette dernière n’a pas vraiment rendu le prix du V.E. « attractif » par rapport au véhicule V.C.F. identique (106, saxo, clio, partner, berlingot, kangoo) lorsqu’on y ajoutait le prix des batteries (soit en cas d’achat des batteries ou soit en cas location mensuelle).

Pour les classes sociales modestes ou les entreprises, le coût du V.E. devenait prohibitif, le tout additionné de certaines contraintes d’usage qui n’existaient pas pour son exact équivalent en mode V.C.F…

Pour les classes sociales aisées, outre les contraintes, peut-être que la gamme des véhicules proposés ne leur convenaient pas en termes d’ « image »…

Enfin, cette aide financière a été, peut-être et tout simplement, mal proportionnée. Le concept du V.E. étant « nouveau » dans notre société, l’Etat n’a certainement pas intégré la particularité des V.E. dans ce subside, c’est-à-dire le prix conséquent des batteries de traction.

On peut également interpréter cet échec comme une erreur de « positionnement produit » de la part des constructeurs. Ils n’ont pas fait de modèles spécifiques V.E. mais simplement décliné un modèle V.C.F. en mode V.E..

Ainsi, en pouvant comparer facilement deux modèles quasiment identiques, les changements d’habitude de conduite et de gestion d’énergie se sont transformés en contraintes d’usage qui sont devenues préjudiciables quant à l’avenir du modèle V.E..

Mais l’Etat a aussi peut-être présumé que les acheteurs potentiels appréhenderont cet investissement sur la base d’une comparaison des coûts d’usage du V.C.F. versus V.E. et allaient choisir par conséquent le V.E..

Mais, même si ce type de calcul est on peut plus logique, il faut reconnaître qu’il n’est pas encore vraiment rentré « dans les moeurs » en cas d’acquisition de véhicule…

Faut-il y voir, aussi dans cette aide financière congrue, une crainte de succès rapide du V.E. et donc une crainte quant à la perte de la manne qu’apporte la T.I.P.P. ?

Rappelons qu’elle était encore de l’ordre 16,1 milliards d’euros en 2008.

De surcroît, Il n’y eut quasiment aucune mesure de mise en place d’infrastructures à l’échelle nationale en ce qui concerne l’alimentation électrique pour la recharge des V.E. en milieu citadin !

Or la mise en place d’une politique de développement des V.E., que cela soit pour les flottes d’entreprises ou pour les particuliers, aurait nécessité une infrastructure adaptée à l’échelle nationale et donc nécessité un investissement étatique (avec bien sûr des partenaires comme EDF par exemple) à la hauteur de l’objectif souhaité.

On aurait dû pouvoir posséder un V.E., vivre en agglomération, en appartement sans garage et pouvoir recharger son V.E. dans la rue, au bas de chez soi…. L’arrivée du V.E. a devancé la mise en place de son infrastructure.

Finalement, ce ne sont que certaines initiatives confidentielles, empreintes de volontés et visions tout aussi audacieuses que louables, qui ont existé.

En France, on peut citer La Rochelle où la municipalité a mis en place un parc de V.E. en auto-partage pour les particuliers et artisans.

La ville de Lyon avec une politique d’achat de quelques V.E. municipaux mais surtout une initiative à souligner : la mise à disposition de places réservées aux V.E. (de particuliers ou d’entreprises) avec bornes de recharge électrique dans les parcs de stationnement lyonnais de Lyon Parc Auto (LPA). LPA a finalement créé un modèle simple et efficace à suivre en ce qui concerne la généralisation d’infrastructures pour le V.E. en milieu urbain : des places exclusivement réservées aux V.E. avec bornes de recharge !

En Suisse, on peut aussi citer l’aéroport international de Genève qui a équipé une partie de sa flotte de véhicules utilitaires de V.E. et en ville de Genève, avec l’équipement de certains parcs de stationnement (places réservées V.E. et possibilité de recharge).

Cependant, bien que confidentielles, ces mesures d’infrastructures ont toutefois permis de démontrer que l’usage du V.E. dans les villes est possible, lorsqu’il y a une « structure d’accueil » en place….

Mais, même là où il y eu une structure en place, il n’y eut aucune mesure réelle de formation des personnes usant des V.E. car il fallait changer ses habitudes…

En effet, même si les automobiles V.E. furent identiques en tous points au modèle V.C.F. (et c’est peut-être là une erreur), le fait que la motorisation et l’énergie utilisée différaient, un nouveau type de conduite (pas de levier de vitesse) et une gestion de « plein d’énergie » étaient à appréhender complètement différemment. Et ceci notamment pour gérer l’ « effet mémoire » des batteries (Nickel-Cadmium) de ces véhicules dont l’effet s’est traduit par un impact immédiat et préjudiciable sur leur autonomie et leur durée de vie.

La technologie actuelle des batteries au lithium n’était pas encore utilisée même si Heuliez (constructeur des V.E. pour Peugeot-Citroën) présentait déjà en 2000 une Peugeot 106 tractée des batteries lithium. Elle résolvait la problématique « d’effet mémoire » et améliorerait considérablement l’autonomie des véhicules.

Mais le sort du V.E. en était déjà jeté.

Pourtant, ces deux problèmes majeurs, « effet mémoire » et autonomie, qui auraient pu être facilement évités par une formation initiale à la conduite, ont cloué au pilori le V.E. !

Aussi, dès les premiers déboires liés à une mauvaise utilisation du V.E., essentiellement par manque de formation à la conduite et à la recharge, la mesure d’exemplarité, qui aurait pu être associée aux flottes de V.E. administratives, s’est transformée en mesure dissuasive.

Tout ceci fut relayé étonnamment d’une manière soutenue par les médias.

Et il en fut fait de la réputation du V.E. !

On peut aussi émettre une autre raison de ce désintéressement.

Les véhicules de flottes administratives ou d’entreprises sont, en France, souvent utilisés tacitement à titre privé. Or le V.E., dont l’autonomie convenait tout à fait à son usage principal et essentiel, n’a peut-être pas été du goût des utilisateurs qui y voyaient une menace à un avantage personnel. Il fut aussi peut-être rapidement délaissé par les justifications abracadabrantes des utilisateurs auprès de leur hiérarchie.

Ce fut, comme nous l’avons dit précédemment, une demande politique très forte initiée par l’Etat et les constructeurs n’ont pas paru enclin à vraiment pousser le V.E..

Ces derniers ont utilisé leur force de vente traditionnelle, en général peu formée au V.E., peu motivée et peu habituée à vendre ce type de véhicule technologiquement nouveau qui changeait leurs habitudes. De surcroît, les modèles de V.E. étaient identiques aux modèles V.C.F. par la forme mais différent par l’usage.

Ces V.E. se trouvaient positionnés au milieu d’une gamme de V.C.F. conséquente et certainement, peut-être plus facile à vendre.

Enfin, aucune formation, à la conduite et à la gestion de charge des batteries, n’avait été prévue pour les acheteurs potentiels de V.E. !

Tout aussi notable, les services d’entretiens des constructeurs ou les garages indépendants ont certainement été circonspects face à l’arrivée du V.E. qui ne demandait que très peu d’entretien et de changements de pièces mécaniques.

De plus, comme nous l’avons signalé un peu plus haut, le niveau d’aides financières de l’état français lié à l’achat d’un V.E., le rendait quasiment invendable (notamment en incluant le prix des batteries) face à « ses concurrents » identiques en mode V.C.F.. Peu d’acheteurs potentiels ont inclus le coût d’usage (entretien, garage, carburant) et les coûts connexes (qui sont pris en charge par la société) lors de leur décision d’achat, et les constructeurs et leurs vendeurs se sont bien gardés de leur en fournir les données même si on suppose qu’ils puissent en avoir eu une idée.

Et ceci fut sans compter la non-application, comme aujourd’hui encore d’ailleurs, du principe de pollueur-payeur aux V.C.F. (enjeux de santé publique, dégradation du milieu urbain etc..) tronquant définitivement le prix final du V.C.F., et conséquemment faussant la concurrence entre le V.C.F. et le V.E. où le V.C.F. en sort bien évidemment gagnant.

On citera aussi l’environnement médiatique et la situation politique internationale. Rappelons qu’iI y a 15 ans, la population n’était pas aussi sensible aux « soucis » environnementaux ; l’éducation et l’information citoyenne n’avait pas atteint le même niveau qu’aujourd’hui face à la problématique environnementale ; il n’y avait pas encore d’agenda 21 en place ; le prix du pétrole était bas ; certains groupes de pression étaient (et le sont toujours pour certains) en position de force, la géopolitique était différente, etc..

IV-1-g Des groupes de pression et d’intérêts ?

Il est un élément notable qui a pu aussi grandement influer sur l’échec du V.E. mais dont il sera difficile de démontrer la présence puisque son mode de fonctionnement est tacite : c’est l’influence des lobbies !

Comme leur action est une application des méthodes de psychologie sociale afin de manipuler l’opinion publique ; méthodes directement inspirées des techniques d’Edward Bernays que nous avons déjà cité plusieurs fois sous une forme ou une autre ; on peut grandement supputer l’influence de groupes d’intérêts divers et variés pour ralentir ou annihiler le développement du V.E., pour lesquels il est une menace.

Aussi, ces groupes de pression (liés à l’industrie du V.C.F., du pétrole ou à des industries connexes) ont très bien pu, par leurs influences au niveau des médias (médias dont une grosse partie de leur revenu provient de la manne générée par la publicité) mettre en balance, par exemple, leurs investissements publicitaires contre des reportages ou informations consacrés à l’automobile en défaveur du V.E.

A l’époque, effectivement, les médias n’ont pas été bien « tendres » à l’égard du V.E..

A un niveau politique, on peut très bien imaginer une mise en balance, par ces groupes de pression, d’un grand nombre d’emplois liés aux V.C.F. contre un ralentissement ou un arrêt de mise en place d’infrastructures ou de mesures pour favoriser le V.E..

Alors, bien sûr, a posteriori, au regard de la prise de position « négative » des médias à l’encontre du V.E. et en l’absence de mesures complémentaires qui auraient promu une politique en faveur du V.E., on peut soupçonner grandement les groupes de pression. D’autant plus si on met en parallèle l’aventure du V.E. en Californie, et sa fin brutale, telle qu’elle nous est présentée dans « Who killed the Electric Car ?» (Paine, 2006).

« Who killed the Electric Car?» (Paine, 2006) est un film-enquête qui souligne que, bien que les utilisateurs du V.E. furent satisfaits des performances du véhicule (il était adapté à leurs usages urbains), le brusque arrêt de développement des V.E. en Californie et leur retrait précipité du marché ; contre le souhait des consommateursutilisateurs ; ne sont pas liés à leur autonomie limitée ou une quelconque gestion contraignante des batteries comme on a bien voulu le faire croire. Le résultat de l’enquête démontre que cet arrêt est lié aux actions des groupes de pression de l’industrie du pétrole, de l’industrie de l’automobile, à des mélanges d’intérêts politico-économiques et aussi à des velléités de certains responsables politiques inféodés au pouvoir économique….

Toute ressemblance avec la situation du V.E. en France, particulièrement sans preuves, n’apparaît que pure spéculation, mais pourtant…

Par conséquent, la mévente puis le brusque abandon du V.E. en France n’est finalement pas une surprise mais force est de constater que cet échec met en exergue un point crucial : l’importance des mesures, de leurs choix et de leurs combinaisons dans le temps et de l’implication forte du pouvoir politique non inféodé au pouvoir économique…

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