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Politique économique de la France en zone franc

La politique économique de la France en Afrique s’inscrit dans la continuité historique de ses interventions passées. Les caractéristiques permanentes de la politique africaine de la France ont souvent été décrites et leur analyse détaillée garde toute sa pertinence aujourd’hui (1) : prédominance des relations personnelles, souvent à travers des réseaux plus ou moins occultes ; priorités aux considérations politiques de court terme au détriment de préoccupations économiques de long terme ; soutien peu regardant à des économies plus rentières et prédatrices que productives ; acceptation d’une affectation peu efficace – c’est-à-dire budgétaire – de l’aide ; volonté de poursuite d‘une présence française (économique, politique, culturelle) forte notamment à travers la zone franc et la francophonie ; décalage entre, d’une part, discours plus ou moins utopiques et généreux et, d’autre part, actions intéressées ou peu coordonnées ; préférence pour une certaine protection commerciale et réticence à l’ouverture économique, etc.

En définitive, la spécificité de la période étudiée provient des caractéristiques de l’environnement des États africains traditionnellement aidés, qui a connu des modifications fondamentales. Les deux septennats du président François Mitterrand recoupent les années de crise profonde des pays africains (2). Par le hasard des événements, l’arrivée et le départ du président français correspondent à deux dates fondamentales pour l’économie des Etats africains les plus proches de la France : 1981 marque le début de l’application systématique des politiques d‘ajustement structurel en Afrique, avec la publication du fameux rapport Berg (3) ; la dévaluation du franc CFA, après quarante-sept ans de fixité par rapport au franc français a eu lieu en 1994.

Ces deux événements n’ont pas qu’une valeur anecdotique : d’une part, la politique de coopération ne peut pas être indépendante de l’environnement international, de l’évolution économique des États africains aidés, des choix stratégiques de la France ainsi que de ceux de ses principaux partenaires; d‘autre part, la décision du 11 janvier 1994 et, surtout, les modalités de sa mise en œuvre, sont le reflet de toute la politique économique de la France en zone franc.

Dans cet article, nous voudrions montrer qu’en raison même des pesanteurs historiques, administratives et, surtout, politiques, les responsables de la politique de coopération ont été incapables de réagir de façon concrète et opérationnelle à ce bouleversement de conjoncture : malgré la multitude d’études et de rapports internes, souvent de très bonne qualité et très critiques par rapport aux politiques menées jusqu’ici (4), aucune philosophie nouvelle de l’intervention économique de la France en Afrique n’a pu être élaborée.

Cette absence de politique économique de la France vis-à-vis du tiers monde, et même de l’Afrique hors pré carré, est relevée depuis longtemps. Mais nous voudrions montrer que la politique suivie dans le pré carré, et notamment la volonté du maintien à tout prix de la zone franc dans ses mécanismes traditionnels et inchangés, ont entravé l’émergence d’une politique digne de ce nom.

(1) Voir par exemple J. Adda et M.-C1. Smouts, La Frame face au Sud: le miroir brisé, Paris, Karthala, 1989 ; J.-F. Bayart, La politique africaine de François Mitterrand, Paris, Karthala, 1984 et « France-Afrique : aider moins pour aider mieux », Politique internationale, 56, 1992 ; C1. Freud, Quelle coopération ? Un bilan de l’aide au développement, Paris, Karthala, 1988 ; F.T. Mac Namarra, France in Black Africa, Washington National Defence University Press, 1989 ; S. Michaïlof (dir.), La France et l’Afrique. Vade-mecum pour un nouveau voyage, Paris, Karthala, 1993 ; N. Van de Walle, The Decline of the Zone franc «, African Affairs, 1991.
(2) D’oÙ, dans notre analyse, l’absence de distinction des années de cohabitation (1986-1988 puis 1993-1995) : de nombreux travaux ont montré la continuité et l’unité de vue de la droite et de la gauche, de Mitterrand, ministre des Colonies & Mitterrand, président de la République en passant par de Gaulle. Voir notamment J.-F. Bayart, op. Cit., et J. Adda et M.-Cl. Smouts, op. cit.
(3) Rapport Berg ou Le développement accéléré en Afrique au sud du Sahara : prograninle indicatif d’action, Washington, Banque mondiale, 1981, 223 p.
(4) Rapport J.M. Jeanneney, La politique de coopération avec les pays en voie de développement} it, Paris, La Documentation française, 201, novembre 1964 ; Rapport du groupe, de travail sur la coopération technique présidé par M. Charpentier, Paris, 1980 ; Rapport J. Cazes, L’aide française au Tiers monde, Paris, mars 1987 ; Rapport S.C. Hessel, Les relations de la Frame avec les pays en développement, Paris, février 1990 ; Travaux de la commission Michdilof, La France et l’Afrique, op. cit., 1993.

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