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Section 1. Le risque putatif : pierre angulaire de la subjectivisation de l‟aléa

ADIAL

L‟enjeu de la reconnaissance de la notion de risque putatif va porter sur son éventuelle assurabilité (§2). En effet, reconnaitre l‟existence du risque putatif et son assurabilité revient à reconnaitre la subjectivisation de l‟aléa. La notion de risque putatif doit donc être définie (§1).

Le droit civil reconnait largement l‟événement putatif (§3), que cela soit en droit patrimonial ou extrapatrimonial. De même, une rapide étude du droit comparé démontre que le risque putatif est également retenu par les pays européens, entrainant de fait son assurabilité en droit des assurances (§4).

§. 1 Notion de risque putatif

L‟adjectif « putatif » qualifie tout acte qui n‟existe que dans la pensée de son auteur. Etant imaginaire, cet acte perd les effets autrement produits. Dans une acception plus large, « putative » signifie l‟acte nul, que son auteur a cru valide à tord. Du fait de cette erreur, l‟acte putatif va alors produire certains effets en faveur de l‟intéressé de bonne foi. De même, et c‟est cette définition qui nous importe, « putatif » se dit de tout acte ou événement déjà réalisé à l‟insu des parties. Tel est le cas, par exemple, du mandat intervenu à l‟insu du mandant. Le mandataire, eu égard à la présence d‟un état imminent de nécessité endosse le rôle de mandataire. Le terme putatif est alors synonyme d‟apparence. Toutefois, en droit des assurances le « risque putatif »ne répond pas exactement à la même définition.

Le risque est dit putatif lorsque les parties ignorent, lors de l’échange des consentements, qu’il est déjà réalisé. Le risque est alors imaginaire, il n’existe que dans l’esprit de l’assuré et de l’assureur(34).

Le terme « putatif » vient du latin putativus, qui signifie « réputé être ce qui n‟est pas », du verbe putare, « penser ». Dans le risque putatif, l‟événement est réputé ne pas s‟être réalisé avant la conclusion du contrat alors que la réalité est toute autre. Seul ce que pensent les parties est pris en compte et si elles ignorent la réalisation de l‟événement garantie alors il sera réputé ne pas s‟être réalisé.

Rien dans les principes assurantiels ne s‟oppose à l‟assurance du risque putatif, les parties étant dans l‟ignorance de l‟état du risque. L‟aléa, qui est conçu comme l‟élément d‟incertitude indispensable réside alors dans l‟ignorance des parties quant à l‟état de réalisation du risque.

§. 2 Reconnaissance de l‟événement putatif en droit civil

Le droit civil a consacré l‟événement putatif puisqu‟il leur confère un certain effet. Trois notions méritent d‟être étudiées : le mariage putatif (A), la condition suspensive définie à l‟article 1181 du Code civil (B), ainsi que le titre putatif (C). Evolution de la notion d’aléa en droit des assurances 25

A. Le mariage putatif

Le mariage putatif est admis en droit civil pour les époux de bonne foi. Cette notion permet aux effets passés d‟un mariage dont la nullité a été judiciairement déclarée de perdurer. La nullité du mariage ne produira ses effets que pour l‟avenir. Cette notion a été admise en faveur des enfants nés lors de cette union, afin que leur légitimité ne soit pas remise en cause. Le consentement des époux importe peu, il suffit qu‟ils aient la conviction réelle d‟être marié. Il faut que l‟un des époux au moins ait cru à la validité de l‟union. De fait, la bonne foi requiert que l‟un des époux ait cru contracter un mariage valable, et donc qu‟il ait ignoré l‟empêchement ou le vice qui s‟opposait à la célébration.

Cependant, les effets du mariage putatif sont limités au seul des époux qui a été de bonne foi. Dès lors, la nécessité d‟une telle notion est évidente, elle permet aux personnes de bonne foi de ne pas subir les effets dévastateurs d‟une annulation de mariage qui, par définition est rétroactive.

B. La condition suspensive

Le propre de la condition suspensive est de suspendre la naissance des obligations à la réalisation d‟un événement. L‟obligation n‟existe donc pas encore ce qui signifie que le créancier ne peut pas exiger le paiement, la prescription ne court pas et le débiteur ne peut valablement payer. Cependant, malgré l‟inexistence des obligations, le contrat a force obligatoire. Dès lors, aucune des deux parties ne peut unilatéralement s‟en dégager et le créancier potentiel a la possibilité de prendre des mesures conservatoires.

La notion de condition suspensive est énoncée à l‟article 1181 du Code civil comme étant « l’obligation qui dépend ou d’un événement futur et incertain, ou d’un événement actuellement arrivé, mais encore inconnu des parties. Dans le premier cas, l’obligation ne peut être exécutée qu’après l’événement. Dans le second cas, l’obligation a son effet du jour où elle a été contractée ». Dès lors, aux termes de ce texte, l’obligation contractuelle existe dès le jour de la formation du contrat lorsque l’événement érigé en condition par les cocontractants est déjà réalisé à leur insu. En l‟espèce, la définition retenue okdu terme « putatif » est celle de l‟événement réalisé à l‟insu des parties. Cet événement, bien qu‟inconnu des parties va produire l‟ensemble de ses effets.

C. Le titre putatif

Le terme « putatif » s‟emploi également pour qualifier certains actes purement imaginaires qui n‟existent que dans la pensée d‟une personne. Ainsi, un testament inexistant est un titre putatif qui ne permet pas au possesseur qui l‟invoque de se prévaloir de la prescription acquisitive abrégée.

En matière immobilière, la prescription abrégée n’est possible que si le titre invoqué est réel, c’est-à-dire qu‟il existe autrement que dans le seul esprit du possesseur : le titre putatif ne suffit pas.

Dans l’Ancien droit et en droit romain, le titre putatif était cependant jugé suffisant dans la mesure où dans ces systèmes la notion de bonne foi était essentielle. En droit moderne, seul un titre réel, et donc non simplement apparent, peut fonder l’usucapion abrégée. Le titre putatif est pris en considération de la même façon que le titre effectif dans la mesure où il est constitutif de la bonne foi du possesseur et permettra de ce fait au possesseur de bonne foi d’acquérir les fruits de la chose.

Le possesseur ne peut plus se prévaloir de sa bonne foi dès lors qu‟un doute apparait quant à la validité du titre qui justifie sa possession. Cela s‟explique par le fait que tout doute exclu la bonne foi pourtant nécessaire à la théorie du titre putatif. Afin que la lenteur de la justice ne nuise pas aux parties, le juge doit se placer au jour de l‟introduction de la demande pour apprécier les droits des parties.

Le droit civil reconnait donc pleinement l‟événement putatif, et lui permet de produire certains effets. Il est à préciser que le contrat d‟assurance n‟est pas le seul contrat aléatoire à donner lieu à la recherche d‟un aléa subjectif. En effet, dans la rente viagère, l‟aléa doit exister de façon sérieuse « dans l’esprit des parties »(35), selon la jurisprudence.

Le droit des assurances n‟est pas un droit totalement indépendant dans le sens où en cas de vide législatif, il convient de se référer au droit des contrats et plus globalement au droit civil. Dès lors, la reconnaissance de l‟évènement putatif en droit civil a nécessairement une influence sur le droit des assurances. Certes, cela ne permet pas de façon certaine d‟affirmer sa prédominance mais on ne peut, de fait, pas l‟exclure expressément. L‟événement putatif étant admis en droit civil, pour quelle raison ne le serait il pas en droit des assurances ? On pourrait opposer des arguments tels que la technicité spécifique de l‟opération d‟assurance, or nous l‟envisagerons par la suite, cette argument n‟est nullement pertinent. Toutefois, il est à préciser que le droit civil ne transpose pas avec exactitude l‟ensemble des effets d‟un événement réel à ceux de l‟événement putatif.

§. 3 Enjeux de la reconnaissance de la notion en droit des assurances

La connaissance du sinistre antérieur à la conclusion du contrat caractérise un défaut d‟aléa qui prive le bénéficiaire de la garantie. Cette affirmation, inscrite dans le Code des assurances n‟est aucunement contestée par la doctrine. Le débat se positionne bien antérieurement à la conclusion du contrat, mais uniquement lorsqu‟aucune des parties et principalement l‟assuré, n‟a connaissance de la réalisation du risque. S‟il y a débat, c‟est nécessairement parce que les enjeux sont importants.

En effet, l‟absence d‟aléa au sein du contrat d‟assurance entraine sa nullité. Si la nullité reste relative, il ne fait cependant aucun doute que l‟assureur ne manquera pas de l‟invoquer s‟il est appelé en garantie. Or, si la notion objective est retenue, l‟aléa sera absent du contrat si le risque s‟est réalisé avant sa conclusion. En effet, dans la conception objective de l‟aléa, seuls les faits importent, quel qu‟en soit l‟état de connaissance des parties au moment de la conclusion du contrat. Admettre l‟assurabilité du risque putatif, c‟est admettre la notion subjective de l‟aléa et élargir le champ d‟application des contrats.

Dans le cadre de l‟assurabilité du risque putatif, l‟aléa ne fait pas défaut lorsqu‟un risque s‟est réalisé avec la conclusion du contrat et que les parties l‟ignorent. Dès lors, le contrat n‟est pas entaché de nullité et le risque est couvert en cas de sinistre.

La reconnaissance de la notion de risque putatif en droit des assurances permet au bénéficiaire de se faire indemniser en cas de sinistre même s‟il a eu lieu avant la conclusion de la police dès lors que les parties l‟ignoraient. C‟est donc une vision très protectrice pour l‟assuré qui est couvert pour un risque déjà réalisé. Cela permet également de protéger la victime qui peut profiter de la solvabilité de l‟assureur grâce notamment à l‟action directe.

Dans la mesure où l‟on admet qu‟un événement déjà arrivé peut être assuré, l‟incertitude résulte de l‟ignorance des parties soit quant à la réalisation du risque, soit quant au fait que le sinistre n‟existe plus.

§. 4 Assurabilité du risque putatif en droit comparé

Dans tous les pays, l‟aléa est exigé pour la validité du contrat, mais l‟incertitude peut porter sur des éléments qui diffèrent selon les droits nationaux. Il parait intéressant d‟effectuer un tour européen de l‟assurabilité du risque putatif, afin de comprendre quels sont les mécanismes retenus par le droit étranger.

En matière d‟assurance maritime, l‟événement déjà arrivé est la plupart du temps assurable à la condition que l‟assuré n‟ait pas connaissance de la survenance d‟un sinistre assurable et que l‟assureur ignore que la chose assurée n‟est plus assurable. En d‟autres termes, le risque putatif est généralement assurable en droit maritime.

En matière d‟assurances terrestres, la matière est plus contrastée. En Belgique, Italie, Suède et Suisse, « l‟assurance de l‟événement déjà arrivé est légalement prohibé »(36). Cependant, elle est permise au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Portugal. Le droit Espagnol prohibe cette forme d‟assurance sous réserve des cas prévus par la loi.

Chaque Etat acceptant l‟assurabilité du risque putatif a ses spécificités. De fait, au Royaume-Uni, en matière de responsabilité civile, la police fondée sur la clause claims made couvre des événements déjà arrivés, mais qui ont pour particularité de n‟avoir donné lieu à aucun recours. Aux Pays-Bas, le principe est l‟assurabilité du risque putatif exception faite de l‟assurance sur la vie où la loi dispose que si la personne dont la vie est assurée est déjà décédée au moment même de la conclusion du contrat, celui-ci est nul, même si l‟assuré n‟aurait pu être informé du décès. Cette loi n‟est cependant pas d‟ordre publique puisqu‟il peut y être dérogé par convention, il conviendra dès lors à l‟assuré de prouver qu‟il n‟aurait pu être informé du décès.

La Suisse prohibe l‟assurabilité du risque putatif. Cependant, cette règle impérative souffre de deux exceptions légales. L‟une concerne les assurances de transport et l‟autre concerne les assurances contre les incendies pour les objets situés à l‟étranger, à condition toujours que les parties soient dans l‟ignorance de l‟événement déjà survenu.

Les droits de common law qui connaissent également les contrats aléatoires ne les regroupent cependant pas au sein d‟une catégorie juridique spéciale et opposée aux contrats commutatifs. Les contrats aléatoires ne font donc pas l‟objet de la même systématisation qu‟en droit français.

34 J. KULLMANN, Lamy assurances, Le contrat d’assurance, éd. Lamy 2011.
35 Cass. 3ème civ. 7 novembre 1968, n°66-12.508 Bull civ III n°447.
36 A. MEUS, De la notion et des limites de l’aléa susceptible d’être garanti dans les assurances de choses, de personnes et de responsabilité professionnelle, 9° colloque CEA 1980, RGAT 1981 p. 243.
37 . MAYAUX, Les grandes questions du droit des assurances, L.G.D.J., éd. 2011.

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